Il nous a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu
Frères et sœurs, voulons-nous devenir des dieux ? Cette question peut nous sembler orgueilleuse, elle rejoint pourtant notre désir le plus profond, que nous le voulions ou non. N’oublions pas que c’est par ce désir que le serpent de la Genèse est parvenu à faire chuter Adam et Eve, en leur faisant miroiter le fruit défendu : « Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » (Gn 3,5) Le serpent a menti en faisant croire à Adam et Eve que Dieu voulait les empêcher de devenir comme Lui. S’Il les a écartés de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, c’était pour les guider pas à pas sur le chemin de cette connaissance, comme Jésus le dira à ses disciples au moment de son dernier repas : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. » (Jn 16,12‑13). Le Christ a plusieurs prénoms, comme la plupart d’entre nous. Cette nuit, nous avons célébré la naissance de Jésus, Dieu-sauve : il nous sauve de la mort et du mal sous toutes les formes, symbolisé par la nuit. Ce matin, nous célébrons la naissance de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, celui qui « a habité » (on peut même traduire : qui a planté sa tente) parmi nous. Bien sûr, il s’agit du même, mais contemplé sous les 2 aspects de sa mission. Le salut et la divinisation de l’homme sont les 2 faces d’une même médaille, la première plus contemplée par les Occidentaux, et la seconde par les Orientaux. L’évangile de la nuit nous plongeait dans l’histoire de ce monde, au milieu du recensement ordonné par l’empereur romain. L’évangile de ce matin prend de la hauteur pour nous donner de saisir qu’en amont même de notre salut, qui n’a été nécessaire qu’à cause de nos péchés, le Seigneur voulait nous rendre semblables à Lui : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ». Jean l’exprime avec ses propres mots : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu ». Comment nous rend-il enfants de Dieu ? Puisque nous avons des oreilles pour écouter, il se donne à nous comme le « Verbe fait chair ». Puisque nous avons des yeux pour voir, il se donne à nous comme « la vraie Lumière, qui éclaire tout homme ». Et puisque nous avons des mains et des pieds pour agir, il nous invite à l’imiter en donnant nous aussi notre vie à Dieu et aux autres.
Tout commence par l’écoute. « Shema Israël », c’est le premier commandement. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ». Cette première parole de l’évangile de Jean renvoie au commencement de la Genèse, lorsque Dieu dit et cela fut. Le Seigneur n’a pas attendu la naissance de son Fils pour nous parler : « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes » (2° lect.). Nous ne sommes pas une religion du Livre, mais de la Parole. Si nous l’écoutons pour lui obéir (ob/audire en latin), nous sommes transformés. Mais cette écoute, pour devenir obéissance, exige une conversion : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu ».
Sommes-nous prêts à accueillir la Parole de Dieu ? Notre société nous abreuve d’informations. Mais ces paroles en tous genres ne touchent pas forcément notre cœur, elles ne font que nous effleurer. La Parole de Dieu, elle, peut toucher notre intelligence et notre volonté de la façon la plus profonde. Pour cela, nous devons imiter Marie qui, après avoir écouté les bergers, « retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 2,19)
Après l’écoute vient la vision. Le Fils de Dieu n’est pas seulement le Verbe, il est aussi la lumière des hommes, « le rayonnement de la gloire de Dieu, l’expression parfaite de son être » (2° lect.), la Beauté par excellence que nous pouvons contempler. Au début de son existence, un enfant ne peut qu’écouter, et ce n’est que quelques mois après sa naissance qu’il commence à voir. Pour ressembler à un maître, il ne suffit pas de l’écouter, il faut aussi le regarder en vivant avec lui. Souvenons-nous du dialogue entre Jésus et ses deux premiers disciples qui lui demandent : « Maître, où demeures-tu ? » Il leur dit : « Venez, et vous verrez.» (Jn 1,38) Depuis toujours, l’homme a cherché à voir Dieu. Mais à Moïse qui lui demande de « contempler sa gloire », Il répond : « Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre. » (Ex 33,20)[i]
Mais si Dieu est invisible, comment le connaître ? Voltaire a dit avec ironie : « Dieu a créé l’homme à son image, et l’homme le lui a bien rendu ». L’imagination a remplacé la vision, et a généré des erreurs sur Dieu. Mais pour nous chrétiens, la naissance de Jésus a tout changé : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître ». Et Jésus dira plus tard : « Qui me voit, voit le Père. » (Jn 14,9) Plus nous contemplons Jésus à travers les évangiles, et plus nous apprenons à connaître Dieu. De là vient la vénération que nos frères orientaux apportent aux icônes. Nous les occidentaux, aimons contempler le Seigneur présent dans le Saint Sacrement. Par ailleurs, nous pouvons le contempler à travers la lectio divina, qui est une lecture priante de la Bible. La lecture d’un petit passage, un seul mot parfois, peut être nourrissante, mais il est bon d’entrer à d’autres moments dans un cheminement extensif avec le Seigneur, de se promener avec lui le long des Ecritures.
Finalement, il nous reste une ultime étape à franchir pour participer à la vie divine. Ecouter le vrai et contempler le beau doit nous permettre d’accomplir le bien. Tout comme un enfant commence par écouter puis se met à voir et ensuite à imiter ses parents, les disciples du Christ, après l’avoir écouté et regardé, ont dû apprendre à vivre comme lui, à enseigner, à guérir… A Noël, beaucoup d’entre nous reçoivent des cadeaux mais le plus beau de tous, c’est celui du Fils de Dieu qui s’est offert lui-même, comme le petit ours Michka dans le célèbre conte où, à court de jouets, il décide de se donner lui-même à un enfant pauvre. Devenir des dieux, participer à la vie divine, c’est justement cela : se donner soi-même. C’est le sens même de l’Amour, et c’est l’identité même du Saint-Esprit que le Fils de Dieu nous a offert comme ultime cadeau avant de mourir. Le bois de la mangeoire s’est transformé en bois de la croix, mais c’est toujours le même mystère d’un Dieu qui ne recule devant aucun sacrifice. L’incarnation et la rédemption sont les deux faces de l’Amour de Dieu pour nous.
Ainsi, frères et sœurs, nous pouvons réellement participer à la vie divine. Il nous suffit pour cela d’écouter, de regarder et d’imiter l’Emmanuel. C’est simple… mais difficile. Pour y parvenir, nous avons besoin de Dieu Lui-même : « Tous, nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce… La Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. » Comme des enfants, sachons nous abandonner entre les mains du Seigneur pour accueillir pleinement les grâces qu’il veut nous donner. C’est ainsi que nous deviendrons toujours plus ses enfants, porteurs de sa Parole, rayonnants de sa Lumière, et ardents à accomplir le bien !
P. Arnaud
[i] C’est de cette impossibilité que vient le 2ème commandement du décalogue : « Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre. » (Ex 20,4) Ni les Juifs ni les Musulmans ne tolèrent les images de Dieu.