Arrière, Satan !

Frères et sœurs, qui est notre véritable Maître ? Sommes-nous toujours à l’écoute du Seigneur, dociles à sa volonté ? Ou préférons-nous parfois écouter l’Adversaire, celui qui est le Menteur par excellence ? Les lectures de ce jour nous rappellent que notre vie chrétienne nécessite un véritable combat spirituel. Sans cesse, il nous faut choisir entre deux voies : celle des fils et filles de Dieu, qui font confiance à leur Père… ou celle des disciples de Satan qui veulent devenir des dieux par leurs propres forces. L’Adversaire nous tente de trois manières principales, qui touchent notre rapport d’abord à Dieu lui-même (désir de gloire), ensuite à la création (désir d’avoir et de plaisir), enfin aux autres (désir de pouvoir). Cherchons à mieux comprendre chacune de ces tentations à travers deux sortes d’exemples : Adam et Eve dans le jardin de la Genèse d’une part (1° lect.) ; Jésus durant son séjour de 40 jours dans le désert (év.), d’autre part. Là où les premiers hommes ont succombé, le Fils de Dieu est sorti vainqueur. Pourquoi ? Parce qu’il s’est laissé « conduire » par l’Esprit (saint Marc écrit même « poussé », pour signifier que Jésus n’est pas allé au désert de gaîté de cœur), et éclairer par la Parole de Dieu (qu’il cite sans cesse).

 

En premier lieu, Satan tente l’homme par rapport à Dieu lui-même. Il le dépeint de manière mensongère, non comme un Père plein d’Amour, mais comme un tyran jaloux de ses prérogatives. Il sape la confiance en Lui, et distille le poison du soupçon. Le serpent dit à la femme : « Alors, Dieu vous a dit : « Vous ne mangerez le fruit d’aucun arbre du jardin’’ », ce qui est un premier mensonge, car Dieu a au contraire permis à Adam et Eve de manger de tous les arbres du jardin, sauf de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, qui les entraînerait à renier leur nature de créatures.  Puis, après la réponse d’Eve, qui manifeste sa peur de Dieu puisqu’elle lui prête une parole qu’Il n’a pas prononcée (à propos de l’arbre en question, « vous n’y toucherez pas »), il ajoute un second mensonge : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux. » Voici la première tentation, à la racine de toutes les autres : devenir comme des dieux, en s’opposant à Dieu. C’est le refus d’accepter nos limites, et/ou de vouloir briller aux yeux des autres. Certaines stars se sont détruites, cherchant dans la drogue ou l’alcool la force de continuer à briller coûte que coûte. Aujourd’hui, l’illusion d’une toute-puissance de l’homme est entretenue par la technologie, mais aussi par la capacité de pouvoir tout décider par soi-même : de son sexe, de sa mort…

Jésus, lui aussi, fait face à cette tentation. Alors que le démon l’emmène au sommet du Temple et l’incite à se jeter dans le vide en citant l’Ecriture[i] à mauvais escient (comme les fondamentalistes), Jésus lui répond : « Il est écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Il ne se place pas au-dessus de son Père, il ne le met pas à son service. Tous les miracles que Jésus accomplira seront destinés à glorifier le Père, et non à se glorifier lui-même. Un jour, oui, Jésus « se jettera » dans la mort… Mais ce ne sera pas pour manifester sa puissance dans un accès de vaine gloire, mais pour manifester la toute-puissance de l’Amour de son Père.

 

En second lieu, Satan tente l’homme par rapport à la création. C’est la tentation du bien-être, qui passe par la consommation et par le plaisir : les biens de la terre et même les autres deviennent pour moi des objets, des sources de jouissance. A cause des paroles du serpent, Eve s’aperçut « que le fruit de l’arbre devait être savoureux et qu’il avait un aspect agréable ». Au lieu de soumettre la terre, et de cultiver et garder le jardin d’Eden comme Dieu le leur avait demandé, Adam et Eve mangent du fruit de l’arbre défendu, et souffrent de la « résistance » de la terre, qui produit désormais  épines et chardons (Gn 1-2).

Jésus, lui aussi, a été tenté par rapport à la création. Alors qu’il avait faim, le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Au lieu de se soumettre au diable et à sa faim, Jésus se défend à nouveau grâce à l’Ecriture, qui est justement une nourriture. Se souvenant de ses ancêtres dans le désert, il cite le Deutéronome : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (cf Dt 8,3). Plus tard, il déclarera à ses disciples : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin. » (Jn 4,34) Un jour, oui, il multipliera les pains… Mais ce sera pour combler non sa propre faim, mais celle des autres.

 

En troisième lieu, Satan tente l’homme par rapport à son prochain. Il l’incite à le dominer plutôt qu’à le servir.  C’est la tentation du pouvoir. Dans la Genèse, elle apparaît comme la conséquence du péché. Dieu dit à Eve : « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. » (Gn 3,16) Au lieu de s’attacher l’un à l’autre et de ne faire plus qu’un (Gn 2,24), l’homme et la femme entrent en guerre l’un contre l’autre.

L’emmenant sur une très haute montagne et lui faisant voir tous les royaumes du monde avec leur gloire, le diable tente Jésus de manière semblable : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. » Un jour, oui, il règnera sur l’univers, comme nous le célébrons lors de la solennité du Christ-Roi. Mais en attendant, « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » (Mt 20,28). Face à cette dernière tentation, alors que Satan a été obligé de se dévoiler après ses deux échecs précédents, Jésus réagit de manière particulièrement forte : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. » Alors que celui qui sert son prochain sert le Christ (Mt 25)[ii], celui qui cherche à être servi par les autres, en réalité, sert et adore l’Adversaire.

 

Ainsi, frères et sœurs, Satan nous tente en nous invitant à devenir des dieux par nos propres forces, en refusant nos limites, en nous soumettant à notre concupiscence, et en dominant les uns sur les autres. Ces trois tentations touchent directement notre être de chrétiens, fils et filles de Dieu. Ce n’est pas un hasard si Jésus a été tenté juste après son baptême. Notre combat n’est pas seulement physique et moral, mais aussi et surtout spirituel. Pendant ce Carême, apprenons à rejeter ces trois tentations en nous mettant à l’école du Christ, le nouvel Adam. Il a rejeté toutes les tentations en se servant de la Parole de Dieu et en se laissant conduire par l’Esprit Saint. Paul peut ainsi écrire : « là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé. » (Rm 5,20) Aussi, « de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste. » (2° lect.) Nous-mêmes, laissons-nous Illuminer par la Parole de Dieu et guider par l’Esprit, et en suivant les 3 conseils évangéliques (chasteté, pauvreté, obéissance), marchons sur les trois pistes que le Christ nous a rappelés le mercredi des Cendres (la Prière contre la vaine gloire, les Privations par rapport à l’avoir et au plaisir et le Partage vis-à-vis du pouvoir), nous pourrons nous convertir en changeant notre regard d’une triple manière. D’abord, en considérant Dieu comme un Père qui veut nous combler. Ensuite, en considérant la création comme un jardin rempli d’arbres aux fruits délicieux, que nous pouvons manger mais sans oublier la tempérance. Enfin, en nous considérant comme des frères et sœurs, qui trouvent leur joie à se servir mutuellement. Pendant ce Carême, combattons humblement avec le Christ, car c’est seulement par sa grâce, en lui demeurant unis, que nous pourrons être vainqueurs.

P. Arnaud

 

En complément :

Dans notre société, ces trois tentations sont omniprésentes. L’athéisme prôné par Nietzsche nous invite à nous considérer nous-mêmes comme des dieux, en allant au-delà du bien et du mal. Hitler, avec le nazisme, a mis cette idéologie en pratique. La sexualité prônée par Freud et la déesse Consommation nous incitent à ne pas refréner nos désirs. Plusieurs empereurs romains, avec le slogan « panem et circenses », ont mis cette idéologie en pratique. Enfin, la guerre des classes prônée par Marx nous pousse à voir en l’autre non un frère, mais un adversaire à éliminer. Lénine et Staline, avec le communisme, ont mis cette idéologie en pratique.

 

Les 3 tentations ci-dessus à la lumière de la Passion du Christ, de notre société et du message de l’Evangile.

L’agonie à Gethsémani (« Non pas ma volonté, mais la tienne »). Le relativisme, pour parvenir à une (fausse) liberté. La chasteté nous permet d’être attentifs à l’Autre pour ne pas violer sa liberté.
La flagellation

 

Le consumérisme et la sexualité débridée, pour parvenir à un (faux) plaisir. La pauvreté (qui favorise la tempérance) nous permet de jouir de la création avec modération.
Le couronnement d’épines

 

Le carriérisme pour pouvoir dominer sur les autres (fausse fraternité). L’obéissance nous donne de goûter la fraternité dans le service des autres.

 

 

[i] « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre »

[ii] « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli, j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !» (v.36-45)