5 pains et 2 poissons

Frères et sœurs, avons-nous faim ? Je ne parle pas de nos estomacs, mais de nos âmes. Avons-nous faim de Dieu ? Je l’espère de tout cœur, car Lui seul peut nous rassasier. Beaucoup de ceux qui vivent auprès de nous ne se sentent jamais satisfaits parce que, même s’ils contentent leurs envies multiples, il reste toujours un grand vide dans leur âme[i]. Certes, le Seigneur est attentif à tous nos besoins, même physiques, et c’est pourquoi Il a nourri son peuple dans le désert, en lui procurant la manne pendant 40 ans. De même, c’est dans un désert que Jésus a multiplié les 5 pains et les 2 poissons pour nourrir la foule. Mais cette nourriture matérielle, si elle est indispensable, n’est pas suffisante. S’il est vrai que nous avons été créés le même jour que les bêtes sauvages, le 6ème, nous avons en plus une âme grâce à laquelle nous ressemblons à Dieu, et qui doit être nourrie elle-aussi. La messe que nous célébrons est un don que le Seigneur nous fait pour nourrir nos âmes. De quelle manière ? Je vous propose d’y réfléchir à l’aide des 5 pains et des 2 poissons : les 5 pains correspondent aux 5 étapes de la messe, et les 2 poissons symbolisent les 2 attitudes fondamentales que nous sommes invités à adopter.

 

Le 1er pain est le pardon de Dieu. Nous sommes tous pécheurs. Lorsque nous commettons des péchés graves, il est nécessaire que nous allions voir un prêtre pour recevoir le sacrement de la réconciliation. Mais même si ce n’est pas le cas, nous commettons tous des péchés, qu’on appelle véniels. Ils ressemblent à ces moucherons qui se collent sur les parebrises des voitures. Si on les laisse s’accumuler, ils finissent par boucher la vue. C’est pourquoi nous sommes invités à recevoir régulièrement le sacrement de réconciliation. C’est pourquoi aussi, plusieurs fois pendant la messe, nous demandons au Seigneur son pardon : au tout début, avec parfois la prière du « Je confesse à Dieu » et toujours avec le kyrie : « Seigneur, prends pitié ; ô Christ, prends pitié ; Seigneur, prends pitié ». Plus tard, nous disons ou chantons : « Agneau de Dieu, qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous (2 fois) et donne-nous la paix ». Plus tard encore, nous disons : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». Le célébrant dit tout cela, et même davantage, puisqu‘il dit à voix basse au moment où un servant de messe vient lui laver les mains : « Lave moi de mes fautes, Seigneur, purifie-moi de mon péché ».

 

Le 2ème pain est la Parole de Dieu. Comme l’ont dit Moïse et Jésus : « L’homme ne vit pas seulement de pain (sous-entendu ici matériel), mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.» (Mt 4,4) Nos frères juifs ont beaucoup à nous enseigner, eux qui ne cessent de scruter les Ecritures depuis des millénaires. Pendant très longtemps, les Chrétiens se sont peu nourris de la Bible, jusqu’à ce que les protestants, à la suite de Luther au XVI° siècle, et les pères du Concile Vatican II, il y a une cinquantaine d’années, leur en donnent le désir. Comme le disait saint Jérôme, « ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ ». C’est pourquoi nous écoutons à la messe 2 lectures et un psaume, qui nous préparent à bien accueillir l’évangile, un mot qui signifie « bonne nouvelle ».

 

Le 3ème pain est la Foi de l’Eglise. Ne récitons jamais le Credo machinalement. Souvenons-nous que des Chrétiens sont morts martyrs depuis 2000 ans parce qu’ils ont osé le proclamer. Et méditons profondément sur chacune des paroles. Même si nous les connaissons par cœur, elles nous nourrissent quand même. Le pain que nous mangeons à table lors des repas a beau être toujours le même, il n’en demeure pas moins nourrissant et même savoureux s’il est de qualité. Après avoir récité le credo, nous sommes plus confiants pour présenter à Dieu nos demandes lors de la prière universelle.

 

Le 4ème pain est le pain eucharistique proprement dit. En le recevant, nous recevons le Fils de Dieu lui-même, le Ressuscité qui nous donne part ainsi à sa vie divine. Il s’agit d’un « baiser d’amour », comme l’écrit sainte Thérèse en évoquant sa 1ère communion, et elle ajoute : « Ce jour-là, ce n’était plus un regard, mais une fusion, ils n’étaient plus deux, Thérèse avait disparu, comme la goutte d’eau qui se perd au sein de l’océan. Jésus restait seul, Il était le maître, le Roi (…). Le Ciel n’était-il pas dans mon âme ? » (M.A,35e r)

 

Le 5ème pain est la bénédiction finale, complétée par l’envoi. Lorsque le célébrant bénit l’assemblée et ajoute  « allez dans la paix du Christ », cela signifie : « allez partager ce que vous avez reçu ». N’oublions pas qu’en dehors de l’église, il y a des foules qui ont faim également. Ne pensons pas que c’est à Jésus de les nourrir, et que cela ne nous concerne pas. Jésus dit aux apôtres qui lui proposent de renvoyer les foules, afin sans doute d’avoir enfin un peu de tranquillité : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Nous sommes peu nombreux ici ce soir, en comparaison de la multitude de ceux qui ont faim au dehors, mais avec les 5 pains et les 2 poissons que le Seigneur nous donne, nous pouvons nourrir tout le monde. C’est tellement vrai que les Douze, non seulement ont rassasié les foules, mais il est même resté 12 paniers, symbole de la surabondance divine !

 

En plus de ces 5 pains délicieux et nourrissants, Jésus nous offre également 2 poissons, qui symbolisent 2 attitudes fondamentales que nous sommes invités à adopter pendant la messe. La première est l’amour de l’Eglise. Dans l’évangile, Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ », signifiant ainsi que son Eglise est un corps organisé. Nous ne participons pas à la messe chacun dans son coin, nous formons un seul corps, comme nous le signifions lors du geste de paix. Lorsque nous communions, nous nous unissons au Christ, mais aussi les uns aux autres. Et à la fin de la messe, nous ne partons pas chacun dans notre direction, nous prenons quelques minutes pour échanger les uns avec les autres, si nous le pouvons, avant d’aller témoigner de la Bonne Nouvelle.

La seconde attitude est l’action de grâce. C’est le sens même du mot eucharistie. Après avoir pris les cinq pains et les deux poissons, « Jésus, levant les yeux au ciel, prononça la bénédiction sur eux », une attitude que les Juifs accomplissent sans cesse encore aujourd’hui. « Il est interdit de goûter quoi que ce soit avant de faire une bénédiction », dit le Talmud (Ber 35a). Celui-ci prescrit de réciter des bénédictions pour tous les actes de la vie quotidienne, depuis le lever du matin jusqu’au coucher du soir, et aussi en cas d’événements particuliers comme la maladie, le voyage ou la mort… Nous aussi devrions remercier le Seigneur tout au long de nos journées, mais en particulier à chaque étape de la messe, comme lorsque nous disons « nous rendons grâce à Dieu » après chaque lecture ou « louange à toi Seigneur Jésus » après l’évangile. Le gloria et les chants de louange nous permettent aussi d’exprimer notre action de grâce.

 

Ainsi, frères et sœurs, ayons toujours faim du Christ. Il veut nous nourrir lors de chaque messe avec ses 5 pains et 2 poissons. Lorsqu’on arrive à un festin, mieux vaut avoir faim pour profiter de ce que l’on va recevoir. Quelle tristesse de voir parfois des chrétiens qui assistent à la messe par habitude ou pour tradition, mais qui ne chantent pas, écoutent distraitement les lectures, ne répondent pas aux invocations du célébrant… Ayons toujours faim de celui qui veut nous nourrir de lui-même et partageons-le avec nos frères de la terre, en nous offrant nous-mêmes en nourriture avec lui. AMEN.

[i] Comme l’écrit saint Augustin dans ses Confessions : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi. »