L’école de l’Amour
Frères et sœurs, pourquoi célébrer la sainte famille ? D’abord parce que nous l’aimons et la vénérons. Mais aussi pour la prendre pour modèle. La famille est en effet une institution à la fois fondamentale et fragile. La Bible nous révèle beaucoup de conflits familiaux, parfois entre parents et enfants (comme Noé et Cham, Jacob et certains de ses fils…), entre conjoints (Job et sa femme) et souvent entre frères (Abel et Caïn, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères…) Pas étonnant donc que dans notre société déchristianisée, la famille est plus que jamais en danger : un couple sur deux divorce, et certains considèrent l’enfant comme une marchandise et les personnes âgées et/ou malades comme des poids pour la société. Ainsi, ce qui est le plus beau et apparemment le plus naturel de la vie humaine est souvent perverti. Pourquoi ? Parce que notre amour familial doit faire face à deux grandes tentations, sur lesquelles nous allons méditer dans un premier temps. Ensuite, nous verrons comment la Sainte Famille les a surmontées elle-même.
L’amour familial doit faire face à deux grandes tentations. La première, celle des parents, est de considérer qu’ils sont les auteurs de la vie de leur enfant, et donc aussi ses maîtres. Dans notre société de « l’enfant-roi », cette tentation est paradoxalement très forte, alors que l’homme s’est transformé en démiurge et souhaite fabriquer les vivants selon ses désirs. La contraception, qui permet de maîtriser le désir d’enfant, l’avortement, qui permet la suppression des enfants non désirés, et toutes les techniques de création in vitro vont dans le même sens, celui d’une humanité qui veut se mettre à la place de Dieu[i]. Cette tentation a néanmoins toujours existé, comme on le voit clairement avec Abraham. Tout d’abord Sara et lui ont choisi leur esclave Agar comme « mère porteuse » pour avoir l’enfant qu’ils désiraient tant (Gn 16). Ensuite, il a fallu que Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils Isaac, non pour l’éliminer, mais pour le lui redonner avec un esprit nouveau, pour qu’il accepte de le voir prendre son indépendance (Gn 22) … Thérèse d’Avila, lorsqu’elle décida d’entrer au couvent, dut braver le refus de son père qui voulait la garder auprès de lui. Elle écrivit que lorsqu’elle quitta sa maison pour aller au Carmel, elle eut l’impression qu’on lui arrachait les entrailles et que ses os se déboîtaient, tant il lui coûtait de désobéir à son père !
A la tentation commune des parents répondent deux tentations des enfants. La première est de ne pas vouloir ou de ne pas oser les quitter, comme le film Tanguy la montra de façon amusante. Or, n’oublions pas le commandement de Dieu : « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un » (Gn 2,24). L’enfant qui entre à l’école doit accepter de quitter sa maman pour la première fois, mais cette séparation sera suivie par beaucoup d’autres. La seconde tentation des enfants est inverse à la première, et consiste à vouloir « couper les ponts » avec leurs parents. Pour acquérir leur liberté, certains cessent toute relation avec eux. C’est oublier cette fois le quatrième commandement : « Tu honoreras ton père et ta mère » (Ex 20,12). Ce commandement me rappelle que je ne me suis pas fait moi-même, et m’invite à honorer à la fois mes géniteurs mais aussi tous ceux qui m’ont aidé à grandir (mes professeurs, mes éducateurs…)
Comment la Sainte Famille a-t-elle surmontées ces tentations ? Nous allons le voir à travers 3 épisodes de la vie de Jésus. Elles constituent 3 « séparations », de plus en plus profondes, entre Jésus et sa famille. La première se situe pendant son enfance, lorsqu’il a 12 ans. En demeurant 3 jours au Temple alors que ses parents le cherchent, Jésus va les aider à comprendre qu’il est d’abord et avant tout le Fils du Père. Alors qu’ils ont dû traverser l’incompréhension (« mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? ») et l’angoisse (« vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »), il leur répond simplement : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Alors qu’il a maintenant l’âge de la maturité religieuse, il leur fait comprendre qu’il ne leur appartient pas, et qu’il a reçu une mission de son Père, qu’il devra accomplir un jour. Selon la lettre, il semble contrevenir au 4ème commandement mais dans l’esprit, il l’accomplit car il témoigne ainsi de l’immense confiance qu’il leur fait. Effectivement, bien qu’ils « ne comprirent pas ce qu’il leur disait », ils ne le punissent pas : Marie, au contraire, « gardait dans son cœur tous ces événements ». Cet événement renvoie à l’histoire de Samuel (1° lect.) : lui aussi est resté au Temple, mais pour toute sa vie et sur la décision de sa mère Anne, qui a voulu le consacrer au Seigneur en remerciement de sa prière exaucée[ii]. Au lieu de l’enfermer dans son amour maternel, elle l’a redonné à Celui qui le lui avait donné. On peut admirer également l’attitude de Samuel, qui a dû souffrir beaucoup lui aussi de devoir se séparer de sa maman. Marie et Jésus ont eu plus de « chance » puisqu’ensuite « il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis ». Mais ce n’était que partie remise…
La deuxième séparation entre Jésus et sa famille a lieu au début de son ministère public : sa mère et ses « frères » (c’est-à-dire ses cousins) vinrent le trouver, mais ils ne pouvaient pas arriver jusqu’à lui à cause de la foule. On le lui fit savoir : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui veulent te voir. » Il leur répondit : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. » (Lc 8,19-21) Cette fois encore, Jésus demeure « chez son Père », c’est-à-dire qu’il privilégie sa mission aux liens biologiques. Et cette fois, il ne reviendra pas à la maison. Ce faisant, il crée une nouvelle famille, fondée non sur le sang mais sur la pratique de la Parole de Dieu. De cette famille, Marie n’est pas exclue, au contraire. Un peu plus tard, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour dire à Jésus : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » (Lc 11,27-28) Marie est la personne qui a su le mieux écouter la parole de Dieu, la garder et la mettre en pratique, elle est donc à ce titre la personne la plus honorable de la nouvelle famille de Jésus.
La troisième et ultime séparation a lieu au pied de la croix. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. (Jn 19,26-27). Voilà le plus acte d’amour qu’un fils puisse accomplir pour sa maman : au moment de se séparer d’elle, il lui offre un autre fils, avant de revenir vers elle après sa résurrection. Il ne l’abandonne pas à sa peine, il lui donne de poursuivre sa mission de mère, et elle pourra ainsi donner naissance à de nombreux autres enfants, tous ceux qui sont disciples de Jésus.
Pour conclure, écoutons une autre parole du Christ : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » (Lc 14,26) En plaçant le Seigneur au-dessus de tout et de tous (« Dieu premier servi » disait Jeanne d’Arc qui a dû elle aussi désobéir à ses parents pour entreprendre sa mission), nous n’aimons pas moins les membres de notre famille, nous les aimons davantage et mieux car notre amour devient plus pur, plus divin. Rendons grâce à Dieu pour nos familles de sang et de foi, et demandons-Lui de nous aider à aimer chacun de ses membres comme Il les aime.
P. Arnaud
[i] 200 000 enfants sont avortés chaque année en France ; des milliers d’autres sont congelés en l’absence de projet parental, ou pour des recherches dites « thérapeutiques » ; des femmes louent leur ventre pour d’autres, ce qu’on appelle la GPA (gestation pour autrui) ; on cherche à se débarrasser des personnes âgées devenues encombrantes par l’euthanasie…
[ii] Samuel signifie « Dieu exauce ».