Au Nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit[i]

Frères et sœurs, quelle place laissons-nous dans nos vies à la Sainte Trinité ? Si souvent, nous prononçons la formule « Au Nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit », mais est-ce machinalement, ou comme une véritable prière ? Le Nom est au singulier, et nous évoquons ensuite 3 Personnes. Un seul Dieu en Trois Personnes, c’est le mystère le plus profond de notre Foi. Pour beaucoup de non-chrétiens, c’est une folie, et pour certains chrétiens, il s’agit d’une vérité abstraite, impossible à comprendre et donc inutile. En réalité, le mystère de la Sainte Trinité n’est pas totalement incompréhensible : comme saint Augustin l’a écrit : « Un mystère, ce n’est pas ce que l’on ne peut pas comprendre, mais ce que l’on n’a jamais fini de comprendre »… En d’autres termes, il nous faut éviter deux écueils extrêmes, celui d’une intelligence paresseuse (on parle parfois en ce sens de la foi du charbonnier) et celui d’une intelligence orgueilleuse qui souhaiterait saisir et « faire le tour » de la « question » de Dieu : il ne s’agit pas ici d’en faire le tour, mais d’y entrer humblement, parce que Dieu lui-même nous y invite. « Dieu a fait l’homme à son image… et l’homme le lui a bien rendu » disait ironiquement Voltaire[ii]. Plutôt que de créer un Dieu issu de notre imagination, nous pouvons utiliser au mieux notre raison, qui nous permet surtout de voir ce qu’Il n’est pas : c’est ce qu’on appelle la théologie apophatique. Dieu est infini, innommable… Cette approche est utile, car elle nous permet d’éviter les faux dieux. La raison nous offre aussi de belles images, par exemple celle du soleil et celle de la source. Le soleil symbolise le Père, ses rayons lumineux le Fils et la chaleur qui en émane l’Esprit. Selon une autre image, le Père est la source, le Fils est le fleuve, et l’Esprit est l’eau vive du courant… Mais grâce à la révélation, nous pouvons aller plus loin : à travers l’Ecriture, Dieu s’est révélé à nous. Aussi, dans un premier temps, nous contemplerons « gratuitement » Dieu, tel  qu’Il s’est révélé. Et puisque nous avons été créés à son image et à sa ressemblance, nous verrons dans un second temps ce que cela signifie pour nous.

 

Premièrement, Dieu est unique. Dans un monde polythéiste, dans lequel les dieux étaient parfois ennemis les uns des autres, le Seigneur s’est révélé à Abraham comme unique, redisant sans cesse à Israël : « pas d’autre dieu que moi ». Il n’y pas non plus un dieu du mal qui s’opposerait à un dieu du bien (cf le manichéisme), mais seulement des puissances du mal, qui ne sont que des créatures.

Deuxièmement, Dieu est Amour. C’est le sommet de la révélation, mais qu’est-ce que cela signifie ? Avant tout que Dieu n’est pas solitaire. Il est un être de relations et de communion. Chacune des Personnes divines se définit par rapport aux autres. Le Père n’a de sens que parce qu’il a un Fils, auquel Il donne tout. Le Fils n’a de sens que parce qu’il a un Père, de qui il reçoit tout. L’Esprit n’a de sens que parce qu’il unit le Père et le Fils. Jésus a dit par exemple : « le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père » (Jn 5,19) ou quant à l’Esprit de vérité: « ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira. » (Jn 16,13)

Troisièmement, Dieu est Miséricorde (une des facettes de son Amour). Au Sinaï, Il s’est présenté ainsi à Moïse : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » (1° lect.)[iii] Et Jean a ajouté : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (év.) Sa miséricorde s’exprime aussi bien dans la Création que dans la Rédemption et dans la Providence. Il a d’abord créé l’homme, non par besoin, mais avec sagesse et par amour, pour que d’autres puissent entrer en communion avec Lui. Le Fils s’est ensuite incarné pour nous sauver du péché et de la mort. Et sans cesse, Il ne cesse de nous donner le pain quotidien…

 

En quoi ce mystère de la Sainte Trinité nous concerne-t-il ? Puisque Dieu est unique, cela signifie d’abord que nous devons l’aimer de tout notre être, en acceptant de renoncer à toutes les idoles[iv]. Aujourd’hui, ce ne sont plus d’autres dieux à qui on bâtissait des temples, mais ce peut être l’argent, le pouvoir, le plaisir, la technologie, l’information, etc. De plus, puisque nous sommes créés à son image et à sa ressemblance, le fait que Dieu est unique signifie que nous devons parvenir à l’unité en nous-mêmes. Les conflits qui déchirent le monde naissent en nous-mêmes. Nous nous déchirons souvent nous-mêmes. « Notre ennemi ne nous quitte jamais, parce que notre ennemi, c’est nous-mêmes » dit un proverbe espagnol. Chaque matin après s’être réveillé, saint Philippe Néri priait ainsi : « Seigneur, méfie-toi de Philippe » ! La chasteté est une vertu qui nous permet de nous unifier. Les passions doivent être guidées par nos 3 facultés les plus hautes : la mémoire renvoie au Père, l’intelligence au Fils, la volonté à l’Esprit (saint Augustin).

Ensuite, le mystère de la Sainte Trinité nous rappelle – rappel particulièrement opportun en ce temps d’hyper individualisme – que nous sommes des êtres de communion. C’est le sens du geste de paix. Nous sommes appelés à donner et à recevoir. Par rapport à Dieu, nous sommes tous ses enfants, ses frères et sœurs, ses compagnons. Les uns vis-à-vis des autres, nous devons jouer parfois le rôle d’un père, en enfantant quelqu’un dans la Vérité, le rôle d’un fils, en nous laissant enfanter nous-mêmes, le rôle de l’Esprit, en permettant à d’autres de se rapprocher mutuellement. C’est pourquoi la famille est l’une des plus belles images de la Sainte Trinité. N’oublions pas que nous sommes créés à l’image de Dieu en tant qu’homme et femme[v]. Le couple est confronté à un défi continuel : chercher à ne faire qu’un[vi] tout en demeurant chacun soi-même. Et quand viennent les enfants, il faut demeurer époux tout en devenant père ou mère… Et dans la profession, il faut donner suffisamment de temps et d’énergie à l’employeur et aux collègues pour bien faire son travail, mais sans sacrifier la famille. On pourrait aussi évoquer le rapport à l’Etat (« rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »)[vii], et bien d’autres exemples. Sans cesse, nous sommes confrontés au défi de la communion, qui exige l’union sans séparation et sans confusion[viii].

Enfin, nous sommes appelés à être miséricordieux comme le Seigneur. Cela signifie donner à ceux qui ont besoin de quelque chose, et par-donner à ceux qui nous ont fait du mal[ix].  Que pouvons-nous donner ? Des biens matériels bien sûr, mais aussi et surtout le Bien le plus précieux, qui est la Bonne Nouvelle. Le Seigneur nous invite à sortir de nous-mêmes pour être missionnaires : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples. Baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19). Pour obéir au commandement du Christ, nous devons non seulement témoigner de notre foi par notre vie, mais aussi par nos paroles. En effet, « la foi naît de ce que l’on entend » (Rm 10,17) et nous devons être toujours prêts à « rendre raison de l’espérance qui est en nous » (1 P 3,15). Nous devons baptiser toutes les nations au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, i.e. les inviter à « plonger » dans la Trinité Sainte. Nous n’avons pas à avoir peur : « tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28,18) nous dit le Christ, qui seul peut changer les cœurs.

 

Pour conclure, frères et sœurs, n’oublions pas que le Seigneur est patient et persévérant pour nous transformer à son image, comme Jésus l’a été avec ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière » (Jn 16,12). Laissons-nous guider par l’Esprit dans l’Amour infini de la Trinité Sainte… Cette semaine, pourquoi ne pas la prier particulièrement, en contemplant par exemple l’icône de Roublev ?

[i] La fête que nous célébrons aujourd’hui est la seule où nous célébrons Dieu pour lui-même, et non pas pour ce qu’Il a fait pour nous, comme à Noël et à Pâques.

 

[ii] Lorsque quelqu’un dit : « je ne crois pas en Dieu », cela signifie qu’il ne croit pas en une certaine représentation de Dieu, mais est-ce celle que la bible nous révèle ?

 

[iii] « Le texte que nous venons d’entendre est l’un des plus précieux de toute notre histoire ! Dieu lui-même parle de lui-même ! « Il proclama lui-même son nom », dit le texte. Et la réaction spontanée de Moïse qui se prosterne jusqu’à terre prouve qu’il a entendu là des paroles extraordinaires.

Et que dit Dieu ? Il s’appelle « Le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » Ce nom « SEIGNEUR », c’est le fameux mot hébreu, en quatre lettres, YHVH, que nous ne savons pas prononcer, parce que, depuis des siècles, bien avant la naissance de Jésus, le peuple d’Israël s’interdisait de le dire, par respect. Ce nom-là, Dieu l’avait déjà proclamé devant Moïse dans le buisson ardent (Ex 3). En même temps qu’il lui révélait ce qui fut pour toujours, je crois, le socle de la foi d’Israël : « Oui, vraiment, disait Dieu, j’ai vu la souffrance de mon peuple en Egypte, je l’ai entendu crier sous les coups, je connais ses souffrances… Alors je suis descendu pour le délivrer… alors je t’envoie. » C’était déjà une découverte inouïe : Dieu voit, Dieu entend, Dieu connaît la souffrance des hommes. Il intervient en suscitant des énergies capables de combattre toutes les formes de malheur. Cela veut dire que nous ne sommes pas seuls dans les épreuves de nos vies, Dieu est à nos côtés, il nous aide à les affronter, à survivre. Dans la mémoire du peuple juif, ce fameux nom « SEIGNEUR » rappelle tout cela, cette douce pitié de Dieu, si j’ose dire.

Et ce n’étaient pas seulement des paroles en l’air, puisque, effectivement, Dieu était intervenu, il avait suscité en Moïse l’énergie nécessaire pour libérer son peuple. Chaque année, aujourd’hui encore, lors de la fête de la Pâque, le peuple juif se souvient que Dieu est « passé » au milieu de lui pour le libérer.

Avec le texte d’aujourd’hui, nous franchissons une nouvelle étape : Dieu éprouve pour nous non seulement de la pitié devant nos malheurs, mais de l’amour ! Il est « tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » Une chose est d’éprouver de la pitié pour quelqu’un au point de l’aider à se relever, autre chose est de l’aimer vraiment.

Et ce n’est certainement pas un hasard si le texte d’aujourd’hui emploie le mot « passer » : Dieu « passe » devant Moïse pour révéler son nom de tendresse comme il est « passé » au milieu de son peuple dans la nuit de la Mer Rouge (Ex 12, 12) : c’est le même mot ; quand Dieu passe, c’est toujours pour libérer son peuple. Et ce deuxième « passage » de Dieu, cette deuxième libération, est encore plus important que le premier. Le pire de nos esclavages est bien celui de nos fausses idées sur Dieu.

Or, vous avez entendu cette phrase du texte : « Il proclama lui-même son nom » ; cette phrase est notre garantie. Le Dieu d’amour auquel nous croyons, nous ne l’avons pas inventé, nous n’avons pas pris nos désirs pour des réalités. Vous connaissez la phrase de Voltaire « Dieu a fait l’homme à son image et l’homme le lui a bien rendu ». Eh bien non ! Nous n’avons pas inventé Dieu, c’est lui qui s’est révélé à nous et cela depuis Moïse ! Et à l’instant où elle a retenti dans l’humanité, cette révélation était vraiment l’inattendu. On ne s’y attendait tellement pas qu’il fallait bien que Dieu nous le dise lui-même.

La réponse de Moïse prouve qu’il a parfaitement compris ce que signifie l’expression « lent à la colère » et il en déduit : « Tu pardonneras nos fautes et nos péchés ». Et il sait que, sur ce point, Dieu aura fort à faire ! Car il a essuyé plus d’une fois les mécontentements de son peuple. Au point qu’un jour, il leur a dit : « Depuis le jour où vous êtes sortis d’Egypte, jusqu’à votre arrivée ici (c’est-à-dire aux portes de la Terre Promise), vous n’avez pas cessé d’être en révolte contre le SEIGNEUR. » (Dt 9, 7). Ici, il dit : « Oui, c’est un peuple à la nuque raide ; mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. » Traduisez : nous sommes un peuple à la nuque raide, mais puisque tu es le Dieu tendre et miséricordieux, tu nous pardonneras toujours et nous, malgré tout, nous ferons notre petit possible pour répondre à ton amour.

Je reviens sur cette expression « nuque raide » : dans une civilisation essentiellement agricole, ce qui était le cas en Israël au temps bibliques, le spectacle de deux animaux attelés par un joug était habituel : nous savons ce qu’est le joug : c’est une pièce de bois, très lourde, très solide, qui attache deux animaux pour labourer. Le joug pèse sur leurs nuques et les deux animaux en viennent inévitablement à marcher du même pas.

Les auteurs bibliques ont le sens des images : ils ont appliqué cette image du joug à l’Alliance entre Dieu et Israël. Prendre le joug était donc synonyme de s’attacher à Dieu pour marcher à son pas. Mais voilà, le peuple d’Israël se raidit sans cesse sous ce joug de l’Alliance conclue avec Dieu au Sinaï. Au lieu de le considérer comme une faveur, il y voit un fardeau. Il se plaint des difficultés de la vie au désert, et finit même par trouver bien fade la manne quotidienne. Au point que Moïse a connu des jours de découragement. Au lieu de se laisser entraîner par la force de Dieu, l’attelage de l’Alliance, en effet, est perpétuellement freiné par les réticences de ce peuple à la nuque raide. » (M. N. Thabut)

 

[iv] Cf le Shema Israël : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6,4-5) et le 1er commandement : « Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. » (Ex 20,3).

[v] « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » (Gn 1,27)

[vi] « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. » (Gn 2,24)

[vii] (Lc 20,25)

[viii] Comme les 2 natures, divine et humaine, dans la Personne du Christ.

[ix] Si nous refusons de donner à celui qui est dans la misère, ou de pardonner à celui qui nous a fait du mal, nous brisons la communion et nous ne ressemblons plus à Dieu. Le fils aîné de la parabole, en refusant d’accueillir son frère, se coupe à la fois de lui et de son père.