Mon âme exalte le Seigneur

Frères et sœurs, sommes-nous prêts pour notre Assomption ? Nous célébrons aujourd’hui le jour où la Vierge Marie a été prise par Dieu auprès de lui : c’est le sens du mot assomption (ad/sumere, prendre pour soi). Si le Seigneur a permis ainsi à la Vierge d’être la première, après son Fils, à le rejoindre dans le Ciel, c’est par pure grâce mais aussi parce que Marie l’a mérité (pour nous catholiques, la grâce et le mérite peuvent être associés). Elle-même a assumé tout ce que le Seigneur lui avait donné de vivre. En français, le mot « assumer » consiste à prendre pour soi quelque chose que nous pourrions être tentés de rejeter, selon 3 sens différents. Premièrement, une mission qui semble lourde (il nous faut alors du courage). Deuxièmement, notre faiblesse ou des erreurs que nous avons commises (il nous faut alors de l’humilité). Troisièmement, une responsabilité qui incombe à un autre (il nous faut alors de la charité). Voyons comment Marie a tout assumé selon ce triple sens.

 

Premièrement, Marie a assumé une mission qui, à vues humaines, aurait pu lui sembler folle ou au-dessus de ses forces : devenir la Mère de Dieu. Lorsque l’ange Gabriel lui annonce cette mission, elle ne pose qu’une seule question, non par doute ou hésitation quant à sa réponse, mais pour savoir comment elle pourra l’accomplir : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1,34). Non seulement elle accepte d’effectuer cette mission imprévue, mais elle le fait avec joie, comme en témoigne son action de grâce auprès d’Elisabeth quelques jours plus tard : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! » Marie aurait pu avoir peur de se lancer dans une telle aventure. Elle n’était pas naïve, et les paroles qu’elle entendit au moment de la présentation de Jésus au Temple, 40 jours après sa naissance, n’ont pas dû la surprendre : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » (Lc 2,34-35) Mais Marie est la femme courageuse dépeinte par le livre des Proverbes : « Revêtue de force et de splendeur, elle sourit à l’avenir. » (Pr 31,25)

Et nous, comment assumons-nous les missions qui nous sont confiées, notamment quand elles sont imprévues ? Avec courage et avec joie ? Ou avec les pieds de plomb, et même parfois en les refusant ? Un des plus grands drame de notre humanité aujourd’hui est l’assassinat de tant d’êtres innocents dans le ventre de leurs mères. Celles-ci, et leurs pères aussi, refusent d’assumer leur maternité. Il ne s’agit pas ici de les juger, car au fond, c’est aussi la société tout entière qui refuse d’assumer cette réalité. Heureusement, certains font preuve de solidarité (comme l’association Tom Pouce) pour aider ces parents à accueillir leur futur enfant. De façon plus large, c’est souvent grâce au soutien des autres que nous sommes rendus capables d’assumer des missions difficiles.

 

Deuxièmement, Marie a assumé sa petitesse. Elle a eu à assumer non des péchés qu’elle aurait commis, mais sa condition de créature. « Il s’est penché sur son humble servante » : Marie est consciente de ses pauvretés. Plusieurs fois dans les évangiles, il apparaît qu’elle n’a pas compris tout de suite le dessein de son Fils. Mais toujours, elle a humblement fait confiance. Elle ne s’est pas révoltée lorsque Jésus a « fugué » à l’âge de 12 ans et lui a dit qu’il devait être dans la maison de son Père. Non, elle «a  gardé dans son cœur tous ces événements. » (Lc 2,51) Elle ne s’est pas révoltée à Cana, lorsque Jésus a répondu à sa demande :

 « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue ». Non, elle a dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » (Jn 2,4-5) Elle ne s’est pas révoltée lorsque Jésus a dit, alors qu’elle le cherchait : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ?…Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Mc 3,33-35) Non, elle a dû s’efforcer de continuer à faire cette volonté, comme elle l’avait toujours fait.

Et nous, comment assumons-nous nos faiblesses, nos incompréhensions, et malheureusement en plus pour nous nos péchés ? Avec humilité ? Ou au contraire en les cachant ou en nous révoltant ? Un autre grand drame de notre humanité, c’est de rejeter les notions de limite et de péché. Parce que la technique est quasi toute-puissante, on croit que l’’être humain l’est aussi. Parce que nous vivons dans un régime de libéralisme quasi absolu, on croit que tout est permis, au-delà du bien et du mal. Nous tombons ainsi dans le piège du diable, qui a chuté avant tout par orgueil. Grignion de Montfort écrit: « L’antique serpent appréhende plus Marie, non seulement que tous les anges et les hommes, mais, en un sens, que Dieu même. Ce n’est pas que la puissance de Dieu ne soit infiniment plus grande que celle de la Sainte Vierge, puisque les perfections de Marie sont limitées, mais c’est surtout parce que Satan, étant orgueilleux, souffre infiniment plus d’être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l’humilie plus que le pouvoir divin ».

 

Troisièmement, Marie a assumé, et continue de le faire… nous-mêmes ! Elle le fait depuis qu’elle a accueilli la volonté de Jésus sur la croix : « Femme, voici ton fils. » (Jn 19,26) Lors de l’Annonciation, elle avait accepté d’assumer la mission de Mère de Dieu qui serait uniquement la sienne. Mais désormais, en tant que notre Mère à tous, elle doit assumer nos propres faiblesses et même nos péchés. Lorsqu’un enfant commet une bêtise en dehors de chez lui, ce n’est pas lui qui en assume les conséquences, ce sont ses parents. S’il casse une chaise à l’école parce qu’il s’est mis en colère, ce sont eux qui vont la rembourser. C’est ce que fait Marie vis-à-vis de nous, notamment par son intercession. Dans ma première paroisse parisienne, Saint François de Molitor, nous allions souvent célébrer chez les sœurs de Marie réparatrice… C’est pourquoi nous lui demandons si souvent de prier « pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ». Elle sait que nous avons un très rude combat à mener contre celui qui est l’ennemi de Dieu et le nôtre, « le dragon rouge feu, avec sept têtes et dix cornes » qui veut nous dévorer (1° lect.), l’antique serpent que j’ai évoqué il y a quelques instants. Alors qu’elle est sans péché et déjà dans la gloire du Ciel, elle assume ce combat par amour pour nous.

Et nous, comment nous soutenons-nous les uns les autres ? La « communion des saints » est-elle juste une formule que nous récitons au moment du Credo, ou une réalité qui nous engage ? Plusieurs fois, sainte Thérèse de Lisieux a pris sur elle-même des erreurs ou fautes de ses sœurs du couvent, plutôt que de les dénoncer auprès de leur supérieure. Un troisième grand drame de notre humanité actuelle est son individualisme, qui lui fait oublier trop souvent le bien commun…

 

Frères et sœurs, demandons à la Vierge Marie d’intercéder pour nous afin que nous parvenions à assumer dans nos vies tout ce que le Seigneur  nous offre de vivre. C’est ainsi qu’en attendant de la rejoindre un jour dans le Ciel, nous pourrons dire avec elle, dès ici-bas et chaque jour: « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Le Puissant fit pour moi des merveilles, Saint est son nom » !

P. Arnaud