Suis-moi !

« Suis-moi ». Frères et sœurs, sommes-nous prêts à répondre à cet appel du Christ ? Sommes-nous prêts à le suivre chaque jour ? En d’autres termes, sommes-nous prêts à suivre sa loi d’amour, puisque « toute la Loi est accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (2° lect.) ? Nous aspirons tous à aimer, mais si nous sommes lucides, nous sommes aussi conscients que nous n’y parvenons pas pleinement, que nous rencontrons des résistances, pas seulement en dehors de nous, mais aussi et d’abord en nous-mêmes. Pourquoi ? Parce que nous avons un ennemi qui cherche à nous asservir, et que saint Paul nomme « la chair ». Il ne s’agit pas du corps, mais de toutes ces « tendances égoïstes qui s’opposent à l’Esprit […]  il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez ». Seul le Christ a été parfaitement libre, car il s’est toujours laissé guider par l’Esprit. Mais cela ne signifie pas qu’il n’ait pas eu à combattre. Dans le passage que nous venons d’entendre, qui marque un tournant dans son évangile, saint Luc écrit : « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem ». La Passion et la mort de Jésus, préludes à sa résurrection, se profilent. Il les a annoncées déjà 2 fois à ses disciples, mais ils n’ont pas compris le sens de ses paroles (Lc 9,45). Qu’importe, Jésus avance, le visage déterminé, on pourrait traduire aussi « dur comme pierre ». Sainte Thérèse d’Avila écrira plus tard, dans le Chemin de la perfection, qu’il faut avoir une « détermination déterminée » pour suivre ce chemin jusqu’au bout. Sans elle, nous nous laisserons arrêter par les tentations, les « tendances égoïstes de la chair » qui nous asservissent (2° lect.) en nous poussant à nous replier sur nous-mêmes pour obtenir de fausses sécurités. Lesquelles ? Les lectures d’aujourd’hui nous en révèlent quatre : sécurité physique, par laquelle la peur de l’autre peut engendrer la violence, dans le désir de le détruire ; sécurité matérielle, qui nous fait rechercher notre confort ; sécurité spirituelle, qui nous pousse à nous accrocher aux lois et aux traditions ; sécurité affective, qui nous empêche de nous détacher de ceux que nous aimons.

 

Pour commencer, notre désir de sécurité physique, autre facette de l’instinct de survie, peut nous pousser à rejeter ceux qui nous font peur, parce qu’ils ne nous aiment pas ou simplement parce qu’ils sont différents de nous. Si le roi Hérode a fait assassiner tous les enfants de moins de 2 ans de Béthléem, c’est parce qu’il avait peur du messie, peur qu’il prenne son trône. « La peur a assassiné ton cœur », comme l’écrit un évêque des premiers siècles. Dans l’évangile d’aujourd’hui, alors que Jésus souhaitait passer par un village de Samaritains pour aller à Jérusalem (sachant qu’autrement, il devrait faire un grand détour car la Samarie est située entre la Galilée et la Judée), ils refusent de l’accueillir « parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem » (sachant aussi qu’il y avait un grave conflit entre eux et les Juifs, et particulièrement les autorités religieuses de Jérusalem). Voyant cela, les disciples Jacques et Jean sont tentés par la violence : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? » Mais Jésus les réprimande, car il est « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), et toujours prêt au pardon. C’est cette attitude qui rend libre et qui est féconde, comme en témoigne sa rencontre avec la Samaritaine, relatée par saint Jean, et qui ouvrira la porte de la conversion à beaucoup des habitants de son village (Jn 4,42).

 

Deuxièmement, notre désir de sécurité matérielle peut nous asservir à notre confort. Alors qu’un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras », il lui répond : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. » Jésus n’était pas attaché à un palais, il aimait demeurer chez Pierre à Capharnaüm ou chez Lazare et ses sœurs à Béthanie, mais il n’était pas esclave du confort, il était souvent sur les chemins pour évangéliser. Dans notre société de consommation et de bien-être, beaucoup sont continuellement en quête d’une amélioration de leur sécurité matérielle, cherchant à augmenter leurs salaires et leurs acquis sociaux. Mais paradoxalement, il semble que beaucoup – les mêmes peut-être – se sentent insatisfaits au fond.

 

Troisièmement, notre désir de sécurité spirituelle peut nous asservir aux traditions et aux lois, même si celles-ci sont bonnes. L’enterrement des morts est une des caractéristiques de l’humanité. C’est ainsi qu’on peut dire que l’homo sapiens a été le premier être humain. Cette « loi » au cœur de l’homme est si importante qu’Antigone a accepté d’être enterrée vivante pour donner une sépulture à son frère. Aussi, le dialogue de Jésus avec l’homme à qui il a demandé de le suivre peut nous surprendre, voire nous choquer : « L’homme répondit : ‘Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père.’ Mais Jésus répliqua : ‘Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu’. » Jésus ne remet pas en cause l’importance des sépultures, mais il la relativise. Tout comme il avait dit à propos du sabbat : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2,27), ainsi en va-t-il de toutes les lois et traditions. Parce qu’elles sont faites pour l’homme, et parce que l’accueil du règne de Dieu est la meilleure chose que l’homme puisse faire, l’annonce du Règne de Dieu est plus important et plus urgent que tout le reste.

 

Quatrièmement, notre désir de sécurité affective peut nous asservir à nos proches, en particulier nos familles. Là encore, la famille est une institution fondamentale de notre humanité, une « église domestique » pour laquelle l’Eglise se bat depuis 2000 ans, mais elle peut aussi devenir une sorte de clan mafieux, renfermé sur lui-même, ou tout simplement un tissu de relations dans lesquelles des pressions plus ou moins subtiles empêchent chacun de ses membres de donner libre cours à ses aspirations. Jésus lui-même a été confronté à ce piège, et il l’a évité. Alors que sa mère et ses frères le cherchent à Capharnaüm, il répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? »  Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères.  Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Mc 3,33‑35) C’est pourquoi, lorsqu’un homme lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison », il lui répond: « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »

 

Alors, frères et sœurs, sommes-nous prêts à suivre le Christ avec une détermination déterminée ? Sommes-nous libres pour aimer notre prochain comme nous-mêmes ? Ou sommes-nous asservis par nos désirs de sécurité physique, matérielle, spirituelle et affective ? Nous ne pouvons être libres pour aimer qu’au prix d’un combat spirituel intense, que nous ne pouvons remporter qu’en vivant sous la conduite de l’Esprit Saint : « marchez sous la conduite de l’Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair. Si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la Loi » (2° lect.) N’imitons pas le jeune homme riche, qui a refusé de répondre à l’appel de Jésus et est reparti tout triste. Ecoutons les appels du Christ, et suivons-le toujours dans la joie. AMEN.