Homélie – Présentation du Seigneur
Je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille. Enfin, le plus tard possible, mais on peut. Ce sont les mots de Thierry Roland, le commentateur, alors que le coup de sifflet final retentit le 12 juillet 1998 et que la France est championne du monde de foot pour la première fois. Après avoir vu ça, on peut mourir tranquille. A peu de choses près, ce sont les mêmes paroles que celles de Syméon face à l’enfant Jésus. Tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples. Si Thierry Roland ne parle pas de la même chose que Syméon, les deux concernent une victoire, totalement nouvelle, avec une portée mondiale… Nous aurions donc pu parler foot ce matin. Mais je préfère parler plutôt de Syméon.
Recontextualisons. Syméon, un homme juste et pieux, est au Temple. Il regarde une famille accomplir les rites juifs liés aux nouveaux-nés. Extérieurement, tout semble ordinaire. Et pourtant, Syméon reconnaît en cet enfant le salut, la lumière qui se révèle aux nations. Ce qui lui permet de faire cela, c’est ce que Saint Luc souligne de manière appuyée: L’Esprit Saint était sur lui. Autrement dit, Syméon n’est pas un fou, ce n’est pas un illuminé. Ou plutôt, si, c’est un illuminé, parce qu’il se laisse illuminer, il laisse son regard être transformé, aiguisé par l’Esprit. De la sorte, il voit dans ce qui paraît ordinaire extérieurement une signification extraordinaire.
Tout au long de l’Evangile, Jésus ne va pas cesser de nous exhorter à ce changement de regard. Pensons à son regard sur la veuve qui donne deux pièces pour le Temple ; ou aux paraboles nous indiquant comment la nature peut nous signifier quelque chose du divin. Nous sommes invités à poser sur la réalité qui nous entoure le même regard que Dieu pose. Un regard renouvelé, capable de percevoir la grandeur dans l’ordinaire, capable d’identifier Dieu à l’œuvre dans la banalité de notre quotidien. Interrogeons-nous alors. Comment nous rendons-nous capable d’admirer le Seigneur à l’œuvre dans notre monde aujourd’hui ? C’est, il me semble, une des raisons pour laquelle nous sommes invités à chanter le cantique de Syméon tous les soirs, lors de la prière des complies. C’est une manière de nous faire relire notre journée, de nous rendre attentifs à la manière dont l’extraordinaire de Dieu s’est manifesté dans l’ordinaire de nos vies. Sainte Thérèse de Lisieux disait « faire de manière extraordinaire des choses tout ordinaires ». Elargissons cela au voir. Premier point: discernons l’extraordinaire dans notre ordinaire, en laissant notre regard être illuminé par Dieu.
Avec ce regard nouveau, contemplons à nouveau la scène. L’enfant Jésus, s’il paraît être un enfant comme un autre, est bien exceptionnel. Les premiers-nés étaient normalement réservés au Seigneur et devaient être rachetés par leurs parents par le versement d’une offrande au Temple. Or ici, Jésus n’est pas racheté. L’offrande des deux tourterelles ou d’un couple de colombes concerne le rite de purification de la mère de Jésus, et non Jésus lui-même. Jésus n’est donc pas racheté, mais il est consacré au Seigneur. Comme une manière de nous annoncer qu’en réalité, si lui n’est pas racheté, c’est parce que c’est plutôt lui qui va nous racheter! C’est lui qui va nous sauver, ou nous purifier, pour reprendre les mots de la première lecture.
Chaque 2 février, soit 40 jours après Noël, nous célébrons la fête de la Vie consacrée, en lien avec cette consécration de Jésus. Dans le temps ordinaire, notre attention est ainsi attirée sur la vie consacrée, sur l’extraordinaire que cet état de vie signifie. Peut-être que nous avons tendance à l’oublier un peu. Les consacrés sont au carrefour de cet ordinaire et de cet extraordinaire. Ils rendent visible quelque chose du mystère du Royaume de Dieu. Leur manière propre de suivre le Christ est un cadeau que Dieu fait au monde, pour lui manifester qu’il y a quelque chose de plus grand que l’univers visible, qui vaut la peine qu’on lui consacre sa vie dans son intégralité. La vie consacrée rend visible les merveilles opérées par Dieu dans la fragile humanité des personnes qu’il appelle, comme l’écrit Jean Paul II.
Il s’agissait dans un premier temps de laisser notre regard être transformé par l’Esprit. Avec ce regard transformé, nous pouvons reconnaître que la vie consacrée nous parle directement de Jésus, lumière pour éclairer les nations… Elle fonctionne comme un miroir, en nous renvoyant une partie de sa lumière.
Cette lumière ne laisse pas Syméon indifférent. Il annonce Jésus, il transmet à tous quelque chose de cette lumière qu’il contemple. C’est un des sens de ce rite de la lumière que nous avons vécu au début de cette messe. Chacun de nous doit porter la lumière du Christ, nous seulement nous laisser illuminer par le Christ, mais aussi en resplendir. Alors, puisque la vie consacrée nous renvoie cette lumière à sa façon, laissons-nous interpeller par elle. Notamment par les conseils évangéliques : les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Parce que ces conseils, vécus de manière radicale par les consacrés, concernent en réalité tous les fidèles. La chasteté dans le célibat consacré manifeste le don à Dieu d’un cœur sans partage, l’amour total pour Dieu et pour nos frères et sœurs. Nous sommes tous appelés à vivre cette chasteté dans notre état de vie – même les couples ! – mais il s’agit de bien la comprendre. La chasteté, ce n’est pas l’absence de relations intimes, mais c’est le fait de ne pas se servir de l’autre, de ne pas se l’approprier, dans tous les domaines de la vie… C’est de vivre le don, et non la possession. Appel qui nous concerne tous ! La pauvreté montre que Dieu est l’unique richesse de l’homme, elle conduit au détachement vis-à-vis des biens de ce monde. L’obéissance enfin, qui est avant tout une obéissance à Dieu, nous inscrit dans notre relation filiale à celui-ci ; elle indique notre confiance et notre écoute, en toute liberté. En ce sens, nous comprenons bien que les conseils évangéliques concernent bien tout chrétien, à sa mesure. Ils sont un moyen privilégié pour cheminer à la suite du Christ. Charge à nous de les accueillir dans notre quotidien.
Reprenons rapidement le parcours accompli.
- Laissons notre regard être illuminé par le Christ, pour contempler l’extraordinaire dans l’ordinaire du quotidien.
- Par ce changement de regard, contemplons la vie consacrée, reflet précieux du salut réalisé dans le Christ, lumière des nations.
- Laissons-nous alors interpeller par ce reflet. En particulier, comment accueillons-nous les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance dans nos vies respectives ?
Ce dimanche, nous célébrons donc la fête de la vie consacrée. Peut-être est-ce l’occasion de prier pour tous les consacrés que nous avons rencontrés et de leur manifester notre reconnaissance pour tout ce que leur vie nous dit du Christ. Qu’ils continuent à être des lumières pour notre monde, dans la prière et le service de l’autre. Amen.