En communion avec nos défunts

Frères et sœurs, à quoi l’Eglise nous invite-t-elle chaque année le 2 novembre ? Certes, aller au cimetière est souhaitable, si nous le pouvons, parce que nous sommes des êtres incarnés et que cette démarche peut nous aider à être en communion avec nos défunts.  C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, même si  elle autorise la crémation, l’Eglise demande que les cendres soient gardées précieusement dans une urne, et que celle-ci soit placée dans un lieu de mémoire autre que notre lieu de vie. Le soin donné aux morts est une des caractéristiques essentielles de l’humanité. C’est parce qu’elle a voulu à tout prix enterrer son frère Polynice, malgré l’interdiction du roi Créon, qu’Antigone a été condamnée à mort… Cependant, que nous puissions aller au cimetière ou non, l’Eglise nous invite à bien davantage, et plus précisément à une triple démarche. D’abord, à rendre grâce pour nos défunts ; ensuite, à intercéder pour eux ; enfin, à nous convertir.

 

Pour commencer, nous sommes invités à rendre grâce pour nos défunts: pour ce qu’ils ont été, et pour ce qu’ils sont maintenant. Il est bon d’abord de se souvenir de leur vie passée, non pour cultiver la mélancolie, mais pour les remercier – et remercier le Seigneur en même temps – de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ont fait de bon, de beau, de vrai. Il ne s’agit pas de les canoniser, mais de reconnaître ce qui dans leur vie a revêtu une dimension d’éternité : leur amour pour les personnes – leur conjoint, leurs enfants, leurs proches… – quelques-unes de leurs œuvres, de leurs paroles… Nos souvenirs peuvent nous y aider, mais ils sont parfois trop lointains ou inexistants, car nous ne les avons pas toujours connus nous-mêmes. C’est là que les grands parents jouent un rôle crucial, car ils peuvent transmettre un savoir que personne d’autre ne possède. Autrefois, c’est autour de la cheminée ou d’un arbre du jardin que cette transmission se réalisait. Aujourd’hui où les générations vivent bien souvent séparées, la transmission est plus difficile, mais elle demeure essentielle. Certains emploient des écrivains publics pour rédiger leur biographie, qu’ils offrent ensuite comme un magnifique cadeau à leurs enfants et petits-enfants. La connaissance de nos défunts peut faire naître chez nous de nouvelles aspirations, comme chez le capitaine Haddock qui se mit à l’escrime dans son appartement après avoir lu la vie de son ancêtre, le chevalier de Hadoque.

Nous rendons grâce à Dieu pour ce que nos défunts ont vécu, mais aussi pour ce qu’ils vivent maintenant : ils sont sur « l’autre rivage », enfin à l’abri des tempêtes. La vie sur la terre nous offre de grandes joies, mais aussi beaucoup d’épreuves, car elle est un pèlerinage qui nous conduit jusqu’à Celui qui nous a créés. Notre but est donc au Ciel, où nous pourrons contempler le Beau, connaître toute la Vérité, ne plus accomplir que le Bien, et jouir de la Vie divine. Comment ne pas nous réjouir que ceux que nous aimons y soient parvenus?

 

Notre action de grâce, cependant, est accompagnée d’intercessions, car nous ne savons pas si leur transformation s’est déjà totalement réalisée ou non. Hier, nous avons célébré tous les saints du ciel, connus et inconnus, tellement nombreux que saint Jean nous a parlé d’une « foule innombrable, que nul ne peut compter »  (Ap 7,9). Ils ont été purifiés de toutes les scories du péché. Nous espérons très fort que c’est le cas de nos défunts, mais Dieu seul le sait. Au moment de leur mort, ils ont été jugés (l’Église parle du « jugement particulier »). La question n’est pas de savoir s’ils avaient fait le bien ou le mal, car la réponse est clairement « les deux », comme pour chacun d’entre nous, la question est de savoir s’ils s’étaient pleinement convertis. Si ce n’était pas le cas, ne désespérons pas : dans sa miséricorde infinie, le Seigneur offre à tous de pouvoir revêtir le vêtement de noces (Mt 25). A moins de décider de se couper radicalement de Dieu (c’est ce qu’on appelle l’enfer, qui évoque l’enfermement de l’homme sans Dieu), le purgatoire constitue une «seconde chance » pour les défunts qui n’étaient pas parfaitement purifiés au moment de leur mort. Mais si le purgatoire est source d’une joie immense, celle d’être purifié petit à petit par le feu de l’amour de Dieu, et de le voir de mieux en mieux, il est aussi source d’une immense souffrance, celle de ne pas pouvoir le voir encore parfaitement à cause du péché qui a rendu l’âme imparfaite, comme la rouille qui recouvre un objet l’empêche de recevoir pleinement les rayons du soleil. C’est pourquoi les âmes du purgatoire ont besoin de nos prières. Et si les défunts pour lesquels nous prions sont au Paradis, nos prières serviront mystérieusement à d’autres, qui en ont besoin.

 

Certains défunts ont encore à se laisser purifier, mais nous aussi ! Un jour, à notre tour, nous mourrons, et au moment de rejoindre Dieu et ceux qui nous ont précédés, nous serons jugés : « l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux vont entendre sa voix, et ils sortiront : ceux qui ont fait le bien, ressuscitant pour entrer dans la vie ; ceux qui ont fait le mal, ressuscitant pour être jugés. » (Jn 5,28-29) Chaque année, le mois de novembre (qui commence par la Toussaint et culmine avec le Christ-Roi) nous replace devant la perspective des fins dernières, qui incluent notre mort et notre jugement. Cette perspective ne doit pas nous faire peur, mais nous inciter à la conversion. Certes, nous pouvons compter sur le purgatoire, mais autant réussir notre examen sans devoir passer par l’oral de rattrapage ! Nous serons plus vite en vacances ! Voici ce qu’écrit la petite Thérèse : « Avec ceux qui s’efforcent de répondre à son amour, Jésus est « aveugle » et ne « compte pas », ou plutôt il ne compte, pour les purifier, que sur ce feu de charité qui « couvre toutes les fautes » et surtout sur les fruits de son perpétuel Sacrifice. Oui, malgré vos petites infidélités, vous pouvez espérer d’aller droit au ciel, car le bon Dieu le désire encore plus que vous et il vous donnera sûrement ce que vous aurez espéré de sa miséricorde » [i]. Alors, efforçons-nous de répondre à l’amour du Seigneur, et laissons le feu de la charité couvrir toutes nos fautes ! Si nous nous convertissons ainsi, nous n’avons pas à craindre le jugement, comme Jésus l’a déclaré: « Amen, amen, je vous le dis : celui qui écoute ma parole et croit au Père qui m’a envoyé, celui-là obtient la vie éternelle et il échappe au Jugement, car il est déjà passé de la mort à la vie. » (Jn 5,24)

Nous savons que nous devons convertir certains aspects de nos vies, mais nous pouvons être tentés de toujours le remettre à plus tard. Alors, n’oublions pas que le Seigneur peut nous rappeler à n’importe quel moment. « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (Mt 25,13) Marc Aurèle disait : « Voici la perfection : vivre chaque jour comme si c’était le dernier, ne pas s’agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant ».

 

Ainsi, frères et sœurs, nous sommes invités à prier pour les défunts dans un esprit d’action de grâce à la fois pour ce qu’ils ont été, et pour ce qu’ils sont maintenant; d’intercession pour les aider à se débarrasser totalement de l’homme ancien qui était en eux ; et de conversion, pour nous en débarrasser nous-mêmes dès ici-bas. Alors, n’hésitons pas à demander aux défunts leur aide, car eux aussi peuvent prier pour nous ! Et écoutons celui par qui nous pouvons passer de la mort à la vie, parce que lui seul peut nous montrer le chemin !

[i] Voici la citation complète : « Ecoutez jusqu’où doit aller votre confiance ! Elle doit vous faire croire que le purgatoire n’est pas fait pour vous, mais seulement pour les âmes qui ont méconnu l’Amour miséricordieux, ou qui ont douté de sa puissance purificatrice. Avec ceux qui s’efforcent de répondre à cet amour, Jésus est « aveugle » et ne « compte pas », ou plutôt il ne compte, pour les purifier, que sur ce feu de charité qui « couvre toutes les fautes » et surtout sur les fruits de son perpétuel Sacrifice. Oui, malgré vos petites infidélités, vous pouvez espérer d’aller droit au ciel, car le bon Dieu le désire encore plus que vous et il vous donnera sûrement ce que vous aurez espéré de sa miséricorde. C’est votre confiance et votre abandon qu’il récompensera ; sa justice, qui connaît votre fragilité, s’est arrangée divinement pour y parvenir. »