Soyez toujours dans la joie
Frères et sœurs, sommes-nous dans la joie ? En ce dimanche Gaudete, l’Eglise nous y invite tout particulièrement. La couleur rose, utilisée seulement le 3ème dimanche de l’Avent et le 4ème dimanche de Carême, rappelle celle que nous pouvons parfois admirer dans le ciel au moment de l’aurore : annonce du jour à venir, pleine d’espérance. Mélange de rouge et de blanc, elle suggère que la joie est le fruit de l’Amour (qui va jusqu’à verser son sang) et de la Pureté de cœur (qui refuse absolument le péché). Mais ce n’est pas aujourd’hui seulement que nous sommes invités à la joie, c’est tous les jours de notre vie : « soyez toujours dans la joie, rendez grâce en toute circonstance » (2° lect.) Comment mettre en pratique ce commandement de l’Apôtre, particulièrement en cette période de grisaille marquée par la pandémie, les violences, les problèmes économiques et bien d’autres difficultés ? Dans un premier temps, nous verrons qu’il y a plusieurs types de joies, et ce qu’est la joie chrétienne, qui est la joie du Christ lui-même. Dans un second temps, nous verrons comment nous pouvons vivre continuellement dans cette joie.
Pour commencer, qu’est-ce que la joie ? Elle est l’une des 4 grandes émotions fondamentales, avec la colère, la peur et la tristesse. Nous les éprouvons en réaction à des événements : la colère devant une injustice, la peur devant un danger, la tristesse devant un malheur… et la joie ? Elle survient lorsque notre désir est comblé. Si ce désir n’est que sensible, notre joie le sera elle aussi, et on parlera plutôt de plaisir. Alors que le plaisir – qui peut être très sain – touche notre corps, la joie concerne notre raison et notre volonté (les animaux peuvent éprouver du plaisir mais pas de la joie). Notre capacité à la joie dépend donc de notre désir. Si nous n’attendons de Noël que des cadeaux (pour les enfants) ou un bon repas (pour les adultes), notre joie sera forcément éphémère. Mais si nous mettons notre joie dans le Seigneur (cf Ps 36,4), alors notre joie peut être durable et même indestructible : « ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! » dit Néhémie à son peuple (Ne 8,10) ; et Jésus dit à ses disciples, attristés par son prochain départ : « vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. » (Jn 16,22) Notre joie dépend de notre union au Seigneur, elle est le second fruit de l’Esprit Saint, juste après la charité (Ga 5,22) : la joie habite dans un cœur qui est aimé et qui aime. C’est la joie de la Vierge Marie, qu’elle a exprimée de façon si belle dans son Magnificat : « mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! » (Lc 1,46) C’est aussi la joie de son Fils, lorsqu’après le retour de mission de ses disciples, « il exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et il dit : “Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.» (Lc 10, 21‑22)
Si Marie et Jésus exultent ici, la joie est souvent plus intérieure, et elle peut même être associée à la souffrance. Certains artistes n’ont pas eu peur de représenter la joie de Jésus sur la croix, comme par exemple à Javier en Espagne. C’est ainsi que saint Paul va jusqu’à écrire aux Colossiens : « Maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. » (Col 1,24) Le père Maximilien Kolbe, durant son agonie dans un cachot de Dachau, a soutenu l’espérance de ses camarades en chantant jusqu’au bout des hymnes de joie.
La joie peut être accompagnée de souffrance, mais aussi de tristesse. Jésus lui-même l’a éprouvée, notamment lorsqu’il a pleuré sur Jérusalem (Lc 19,41) ou devant le cadavre de son ami Lazare (Jn 11,35), ou lorsqu’ « il commença à ressentir tristesse et angoisse » (Mt 26,37) devant sa Passion à Gethsémani. C’est la tristesse selon Dieu, que tous les saints ont connue, notamment François d’Assise qui criait souvent : « l’Amour de Dieu n’est pas aimé !» Elle est radicalement différente de la tristesse que nous éprouvons parfois lorsque nos désirs égoïstes ne sont pas assouvis.
Comment pouvons-nous être continuellement dans cette joie divine ? Nous devons nous unir à Lui, ce qui implique un combat spirituel, une conversion. Nous devons chasser de nos cœurs cette tristesse égoïste que je viens d’évoquer. Et au lieu de rester centrés sur nous-mêmes, nous devons nous tourner vers le Seigneur. C’est ici que Jean le Baptiste peut beaucoup nous apprendre car il est profondément joyeux : « l’ami de l’époux se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite ». Et il nous révèle le secret de sa joie : « Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue. » (Jn 3,29‑30) Sa joie vient de son humilité, grâce à laquelle il laisse toute la place au Seigneur, qui peut accomplir en lui et par lui son œuvre. Jean ne profite pas de la situation pour se faire encenser, alors que la foule est présente autour de lui. Il n’est pas le Christ, comme beaucoup le pensent, pas le prophète Elie ou le prophète annoncé, il est simplement « la voix de celui qui crie dans le désert : redressez le chemin du Seigneur ». Il est l’anti-Narcisse, il ne passe pas son temps à faire des selfies, il pointe son regard (et son doigt, comme dans nombre de peintures) vers un autre, vers le Christ, afin que nous le suivions, comme l’ont fait ses disciples.
Suivre le Christ signifie d’abord que nous devons redresser le chemin du Seigneur en réalisant ce qui est juste. Alors que ceux qui sont allés le voir au désert lui demandent ce qu’ils doivent faire, s’attendant sans doute à des exigences héroïques dans la veine de son style de vie hors-norme, Jean les appelle à accomplir leur devoir d’état. Il dit aux foules : « celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même » ; aux publicains : « n’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé » ; aux soldats : « ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort ; et contentez-vous de votre solde » (Lc 3,10‑14)
Mais en plus d’accomplir notre devoir d’état, le Seigneur nous appelle aussi à témoigner de lui, par des actes et par des paroles, comme il l’a demandé à ses disciples en les envoyant en mission. Chacun d’entre nous, qui avons été « consacrés par l’onction », peut dire: « le Seigneur m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur (l’année 2021 ?)» (1° lect.) N’ayons pas peur d’être rejetés: « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse ! » (Mt 5,11-12)
Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous invite à être des témoins de sa joie. Joie de lui être toujours unis, quelles que soient les circonstances, et de témoigner de lui. Avant d’être un commandement, la joie est une grâce, un fruit de l’Esprit Saint en nous. Pendant les fêtes qui approchent, ne boudons pas les joies simples de l’existence (celles des bons repas[i], les cadeaux, les retrouvailles en famille…), au contraire, mais vivons-les toutes en étant unis à celui qui est l’Amour, et qui les rendra infiniment plus belles, plus fortes, et plus durables.
P. Arnaud
[i] « Le seul bonheur des humains est de manger, de boire et de jouir des résultats de leur travail. J’ai constaté que c’est Dieu qui leur offre ce bonheur, car personne ne peut manger ni éprouver du plaisir si Dieu ne le lui accorde pas » (Si 2,24)