M’aimes-tu ?

« M’aimes-tu » ? Cette question fondamentale que Jésus pose à Pierre, frères et sœurs, il la pose à chacun d’entre nous. La réponse peut sembler évidente puisque, si nous ne l’aimions pas, nous ne serions pas réunis ici ce matin. Cependant, l’amour a différents visages, et différents degrés. On n’aime pas le chocolat comme on aime la France ou comme on aime son conjoint ou ses enfants. En grec, la langue de l’évangile, il existe 3 termes différents pour exprimer 3 différentes formes d’amour : eros désigne l’amour affectif, philein l’amitié, et agapein la charité, i.e. l’amour oblatif qui se sacrifie pour l’autre[i]. En s’adressant à Pierre, Jésus utilise d’abord 2 fois le terme agapas, puis 1 fois le terme phileis. Pourquoi ce changement ? Parce que Pierre lui répond à chaque fois avec le terme philo. Alors même que Jésus demande d’abord « m’aimes-tu plus que ceux-ci ?» (avant de demander seulement « m’aimes-tu vraiment ? »), il se contente de répondre « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Autrement dit, lui qui était trop sûr de lui avant la Passion, au point de dire à Jésus qu’il était prêt à donner sa vie pour lui, il est devenu humble. Il est trop conscient de ses faiblesses pour déclarer à Jésus qu’il l’aime assez pour se sacrifier pour lui. Jésus s’adapte donc à Pierre, et c’est l’inverse de la Passion qui se produit : alors qu’il avait annoncé à celui-ci son triple reniement à venir, il lui annonce maintenant qu’il va effectivement donner sa vie pour lui : « Amen, amen, je te le dis: quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Et c’est ce qui se réalisera lorsque Pierre sera crucifié à Rome, au moment de la persécution lancée par Néron… Et nous, comment pouvons-nous grandir dans notre amour pour le Christ ? L’évangile nous permet de découvrir 3 moyens. Premièrement : rendre grâce au Seigneur pour les signes de son amour pour nous. Deuxièmement : lui rendre grâce pour ses sacrements. Troisièmement, lui rendre grâce pour la mission qu’Il nous a confiée.

 

Premièrement, nous pouvons rendre grâce au Seigneur pour les signes de son amour pour nous. C’est ce que Pierre et les 6 autres disciples peuvent faire après la pêche miraculeuse. Leur nombre (7) symbolise l’ensemble des disciples[ii]. La plupart des apôtres que Jésus avait choisis étaient des pécheurs. Après sa passion et sa mort, ils sont revenus à leur ancienne vie. N’ayant pas encore reçu l’Esprit de Pentecôte, la nouvelle de sa résurrection elle-même n’a pas été suffisante pour les pousser à sortir d’eux-mêmes et à partir en mission. Après avoir vécu pendant trois ans d’une manière exceptionnelle auprès du Christ, ils reprennent donc le « train-train » quotidien. Pire encore, dans ce domaine où ils avaient tout pour réussir, puisqu’ils étaient des pécheurs professionnels, ils éprouvent également l’amertume de l’échec : « Ils passèrent la nuit sans rien prendre ». C’est alors que le Ressuscité intervient, d’une manière cachée : « ils ne savaient pas que c’était lui. » Cependant, alors qu’il les invite à jeter le filet à droite de la barque, ils acceptent de lui faire confiance[iii]. Devant les 153 gros poissons pêchés (le nombre d’espèces connues à l’époque), c’est Jean qui est le premier à reconnaître la présence divine : « C’est le Seigneur » ! Les 7 disciples ont dû éprouver le sentiment d’adoration des anges de l’Apocalypse, qui disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse,     sagesse et force, honneur, gloire et louange. » (2° lect.)… A nous aussi, le Seigneur se manifeste parfois, de façon éclatante ou discrète, mais nous ne pouvons le reconnaître qu’avec les yeux du cœur et de l’Amour, ceux du « disciple que Jésus aimait ». Il le fait d’autant plus que nous acceptons de sortir de nous-mêmes, de nos habitudes et de nos certitudes, pour faire confiance à d’autres, qui parlent en son Nom même s’ils n’en ont pas conscience.

 

Deuxièmement, nous pouvons rendre grâce au Seigneur pour ses sacrements. Deux d’entre eux sont évoqués dans l’évangile. Le baptême, d’abord, qui signifie « plongée » et qui nous permet de revêtir un nouveau vêtement, comme Pierre qui bizarrement en enfile un au moment de se jeter à l’eau. L’Eucharistie ensuite, où Jésus nous partage le pain. Pourquoi donne-t-il ici du poisson en plus ? Pour rappeler la multiplication des pains, bien-sûr, mais aussi pour signifier qu’il se donne lui-même : pour les premiers chrétiens, le symbole le plus fort du Christ – comme on le voit dans les catacombes -était le poisson, ichthus en grec, qui est un acrostiche de Iesous Christos Theou Uios Soter, qui signifie « Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur ». Pourquoi Jésus demande-t-il aux disciples d’apporter le poisson qu’ils viennent de prendre ?  Pas parce qu’il en manque, sans doute, mais pour qu’ils puissent participer à son œuvre (comme nous apportons le pain et le vin dans chaque eucharistie).

Aujourd’hui encore, le baptême représente une plongée audacieuse dans l’eau de la renaissance. Certes, la plupart d’entre nous l’ont reçu enfant, sans notre consentement, mais nous exprimons celui-ci à chaque fois que nous professons notre foi, intégralement lors de la célébration de Pâques et plus succinctement chaque dimanche. Et c’est toujours le Seigneur Jésus qui, lors de chaque Eucharistie, nous donne la nourriture dont nous avons besoin. Comme dimanche dernier, traditionnellement appelé « in albis », rendons grâce pour les 7 adultes qui ont plongé dans l’eau du baptême lors de la Vigile pascale au Saint Esprit et les milliers dans toutes les paroisses du monde.

 

Troisièmement, nous pouvons rendre grâce au Seigneur pour la mission qu’Il nous a confiée. Jésus avait confié à Pierre la mission de pécheur d’homme (Lc 5,10) et de « portier » du royaume (Mt 16,19). Après son triple reniement, il aurait pu le désavouer et confier les clefs du royaume à un autre. Au contraire, Jésus le confirme dans sa mission. En lui posant 3 fois la question « m’aimes-tu », non seulement il lui montre que son péché est pardonné, mais aussi qu’il ne pourra accomplir sa mission que s’il est uni à son Maître par l’Amour.

A chacun d’entre nous aussi, le Seigneur a confié une mission, peut-être pas aussi glorieuse et difficile que celle de Pierre, mais importante également car nous avons tous un rôle à jouer dans l’édification de l’Eglise, en tant que « pierres vivantes » (1P2,5). Alors, ne renonçons jamais à l’accomplir, malgré nos faiblesses : elles doivent nous pousser à nous unir davantage, par l’amour et dans l’humilité, à celui qui peut agir en nous et avec nous.

 

Ainsi, en demandant à chacun d’entre nous « m’aimes-tu » ?, le Seigneur nous donne aussi les moyens de l’aimer davantage. C’est ce qu’il a fait avec Pierre. Grâce aux signes de l’amour de Dieu pour lui, grâce aux sacrements et grâce à la mission que le Seigneur lui avait confiée, le chef des apôtres a grandi dans l’amour de son Maître. Alors qu’il l’avait renié par peur au moment de la Passion, il a été capable ensuite de tenir tête aux autorités de son peuple : « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (1° lect.) Mieux encore, après que lui et les autres apôtres furent fouettés et menacés, ils repartirent « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus . » Et finalement, ils donnèrent tous leur vie par le martyr. Par leur intercession, que le Seigneur fasse grandir en nous l’amour pour lui et pour tous nos frères. AMEN.

 

[i] Mère Teresa passa un jour du 2nd au 3ème, lorsqu’elle comprit dans la prière que le Seigneur l’appelait à quitter la vie relativement confortable de religieuse enseignante, pour aller servir les miséreux dans les rues de Calcutta.

[ii] Tout comme les 7 églises de l’Apocalypse représentent toute l’Eglise.

[iii] Sans doute avaient-ils encore en mémoire un événement qui avait eu lieu trois ans plus tôt, lorsque Jésus avait demandé à celui qui s’appelait encore Simon d’aller au large pour y jeter les filets, et où ceux-ci étaient près de se déchirer tant ils avaient rapporté de poissons (Lc 5,1-11). Simon s’était alors prosterné aux pieds de Jésus et avait ensuite décidé de le suivre.