Je suis le Bon Pasteur
Frères et sœurs, comment entrer un jour dans le Paradis décrit par saint Jean dans son Apocalypse : « Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, la brûlure du soleil ne les accablera plus… Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.» (2° lect.) Comment rejoindre ainsi la « foule immense, que nul ne peut dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues qui se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main » ? La réponse est simple : nous avons besoin d’un pasteur qui connaisse le chemin et puisse nous y conduire. Un seul en est capable : le Christ, qui nous dit aujourd’hui : Je suis le Bon Pasteur qui donne la vie éternelle à mes brebis. Il désire nous mener jusque dans les frais pâturages du Royaume. Sur le chemin, cependant, nous – les brebis – rencontrons deux obstacles qui peuvent nous empêcher de le suivre jusqu’au bout : les mauvais bergers d’abord, qui cherchent à nous conduire ailleurs ; les loups ensuite, qui veulent nous dévorer. Pour suivre le Christ jusqu’au bout, il nous faut donc deux vertus, sur lesquelles nous allons méditer : du discernement pour écouter la voix du vrai berger d’une part, et de la force pour résister aux ennemis déclarés de l’Eglise d’autre part.
Pour commencer, il nous faut du discernement pour écouter la voix du vrai berger. Jésus dit aux Juifs : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. » Un peu plut tôt, il les a mis en garde : « Le berger mercenaire, lui, n’est pas le pasteur, car les brebis ne lui appartiennent pas : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui[i]. » (Jn 10, 12‑13)
Notre société regorge de mauvais bergers, qui veulent nous mener vers des paradis artificiels. Non seulement il nous arrive de les écouter mais aussi de jouer parfois nous-mêmes le rôle de mauvais bergers, influencés par Satan, qui se déguise en ange de lumière. Cette « accusation » paraît trop forte ? Souvenons-nous de l’adage : « L’enfer est pavé de bonnes intentions » ! Souvenons-nous surtout de Jésus, qui dit: « Arrière Satan » non seulement lorsqu’il est tenté dans le désert, mais aussi à Pierre, qui vient de lui faire de vifs reproches après sa première annonce de la Passion (Mt 16,22-23). Pierre croyait sans doute bien faire en incitant Jésus à ne pas ternir sa gloire terrestre, mais en réalité, ses pensées n’étaient pas celles de Dieu, mais celles des hommes, et il constituait ainsi un obstacle sur la route de Jésus. Cela n’a pas empêché celui-ci de le confirmer plus tard dans sa mission de pasteur du peuple de Dieu, comme nous l’avons entendu dimanche dernier : « Pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis » (Jn 21,15-23). Après avoir su écouter le Père qui lui avait révélé que Jésus était le Messie, Pierre avait écouté le diable… Cet épisode nous montre à quel point la vertu de discernement est importante dans la vie chrétienne. A Antioche de Pisidie, les auditeurs de Paul et Barnabé ont eu le choix de donner leur confiance soit aux 2 apôtres, soit à leurs adversaires qui s’étaient enflammés de jalousie et qui les contredisaient en les injuriant, avant de les expulser de leur territoire (1° lect.). Ceux qui choisirent de croire à leur parole furent « remplis de joie et d’Esprit Saint ». La joie est l’un des critères essentiels pour discerner si l’on est bien à l’écoute du Seigneur, comme le soulignera saint Ignace, le fondateur des Jésuites, qui reçut un charisme particulier pour discerner les bons des mauvais esprits, et rédigea les Exercices qui peuvent être très utiles lorsque l’on doit prendre des décisions importantes dans la vie.
Sur le chemin qui conduit au ciel, nous rencontrons de mauvais bergers, mais aussi des loups, qui ne se cachent pas pour nous attaquer. Le discernement ne suffit donc pas, nous avons aussi besoin de force pour leur résister. L’Église a connu des persécutions depuis sa naissance. Le premier martyr, saint Etienne, est lapidé à Jérusalem quelques années seulement après la crucifixion de Jésus. Jusqu’en 313, date de la conversion de l’empereur Constantin, des vagues de persécutions vont déferler sur les chrétiens. Lorsqu’elles cesseront en Occident, elles resurgiront ailleurs, notamment en Asie à partir du XVIIème siècle. Aujourd’hui encore, 245 millions de chrétiens sont persécutés dans le monde, soit un fidèle sur neuf. Parmi eux, 4 305 ont été tués pour leur foi en 2018, et 3 150 sont emprisonnés[ii]. En France, les persécutions ne sont pas sanglantes, grâce à Dieu, mais elles prennent la forme de moqueries, de mépris, d’empêchement pour monter dans la hiérarchie, etc. Les manifestations contre la loi sur « le mariage pour tous », en 2013, ont mis en lumière combien l’esprit du monde et l’esprit de l’évangile peuvent être opposés parfois…
Dans ces situations, que faire ? Résister ! A Antioche de Pisidie, Paul et Barnabé ont été « seulement » expulsés, mais un peu plus tard à Lystres, Paul sera lapidé et traîné hors de la ville, laissé pour mort, avant qu’il ne se relève et reparte évangéliser ! Réécoutons saint Jean qui nous décrit la foule immense des élus. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils « viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. » (2° lect.) Il est étrange de laver ses vêtements non dans l’eau, mais dans le sang ! Être baptisé ne suffit pas pour entrer dans le Royaume de Dieu. Comme Jésus le dit dans le sermon sur la montagne : « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’, pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7,21) Faire la volonté du Seigneur coûte que coûte, face à des adversaires qui peuvent être extérieurs mais aussi intérieurs, lorsqu’on est fortement tenté. Comme le disait Blanche de Castille à son fils, le futur saint Louis : « je préfèrerais te voir mourir que commettre un péché mortel »… parole que saint Dominique Savio avait reprise à son compte sous la forme : « la mort plutôt que le péché ! »
Mais comment faire pour résister ainsi ? Nous sommes tellement fragilisés par nos faiblesses, d’autant plus que nous n’en avons pas toujours suffisamment conscience, comme Simon-Pierre qui avait juré à Jésus de ne pas l’abandonner au moment de la dernière Cène… Alors, faisons confiance au Christ, abandonnons-nous comme de pauvres brebis entre ses mains. Il nous déclare solennellement : mes brebis, « jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut rien arracher de la main du Père. » Pour résister au mal sous toutes ses formes, ne nous fions pas à nos propres forces, mais au Tout-Puissant lui-même. Par la prière, les sacrements, et une vie de charité, unissons-nous au Christ, qui est lui-même uni à son Père : « Le Père et moi, nous sommes UN. »
Frères et sœurs, rendons grâce au Fils de Dieu qui s’est incarné pour nous mener jusqu’à son Père et nous donner la vie éternelle. Apprenons à l’écouter en nous méfiant à la fois des loups et des mauvais bergers, aussi bien intérieurs qu’extérieurs à nous-mêmes. Il nous faut donc associer confiance, courage et prudence : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » (Mt 10,28) Cette semaine, prions particulièrement pour les prêtres actuels et à venir, afin que le Seigneur fasse de nous des pasteurs selon son Cœur. Amen.
[i] Les mauvais bergers existaient déjà dans l’Ancienne Alliance. Écoutons le prophète Ézéchiel : « parce qu’ils sont bergers pour eux-mêmes au lieu de l’être pour mon troupeau, eh bien […] j’interviens contre les bergers. Je leur reprendrai mon troupeau, je les empêcherai de le conduire. » (Ez 34,7-10)
[ii] Index mondial des persécutions des chrétiens en 2019 : Corée du Nord, Afghanistan, Somalie, Libye, Pakistan, Soudan, Érythrée, Yémen, Iran, Inde, Syrie, Nigéria, Irak, Maldives, Arabie saoudite…