Voici que je fais un monde nouveau

« Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais un monde nouveau : il germe déjà, ne le voyez-vous pas » (1° lect.)? Frères et sœurs, comment renouveler notre monde, comme le prophète Isaïe en donnait l’espérance au peuple en exil ? Cette espérance, n’est-ce pas celle du peuple algérien, celle des gilets jaunes, celle de tous ceux qui sont déçus de notre société actuelle… Les moyens qu’ils ont utilisés n’ont pas été les mêmes, et les résultats non plus. Mais ce qui est certain, c’est que les changements de structures et de politiques ne suffiront pas. Le véritable renouveau de notre monde ne peut passer que par celui de ses membres, et donc par une transformation profonde des esprits et des cœurs. Celle-ci implique une conversion avec un double mouvement : d’une part se détourner du péché, et d’autre part se tourner vers le Christ. Les deux personnages principaux des lectures de ce dimanche, la femme adultère et saint Paul, peuvent nous y aider.

 

Pour commencer, notre conversion exige que nous nous détournions du péché, comme Jésus l’a demandé à la femme adultère de l’évangile. Dans l’Ancien Testament, l’adultère est l’un des symboles les plus parlants du péché, puisque celui-ci signifie une infidélité à l’alliance avec Dieu, qui se présente comme l’Epoux de son peuple. Selon la loi de Moïse, la femme qui a été prise en flagrant délit d’adultère mérite la lapidation. Notons que la Loi prévoit la lapidation aussi bien pour l’homme que pour la femme, mais il est étrangement absent. Il est en quelque sorte remplacé par Jésus lui-même car, ne nous y trompons pas, c’est surtout lui que les pharisiens veulent mettre à mort. Le fait que Jésus appelle ensuite la femme adultère du nom de « femme », justement, corrobore cette idée : il est l’homme parfait, qui va lui rendre sa dignité de femme, qui a été comme abîmée par son péché. D’ailleurs, dans cette scène, elle est présentée comme un véritable objet, on ne la nomme pas, et on ne lui laisse pas la possibilité de parler.

Jésus et la femme adultère sont situés au centre du groupe, comme encerclés par une meute de loups prêts au carnage[i]. Pour eux, voici l’occasion de prendre Jésus au piège : s’il demande l’application de la Loi, alors qu’il n’a cessé de prêcher la miséricorde, il va perdre la confiance du peuple, et il risque d’être arrêté par les Romains, qui se sont réservés la peine de mort ; s’il la refuse, il manifeste qu’il est un faux-prophète. « Et toi, qu’en dis-tu ? » Jésus ne se laisse pas prendre au piège. En se taisant, il manifeste sa liberté et il éteint la colère de ses interlocuteurs. En traçant des traits sur le sol, il agit aussi à la manière d’un enfant, refusant d’entrer dans la perversité des adultes qui sont à ses côtés. Son geste est aussi symbolique : les tables de la Loi de Moïse ont été gravées dans le marbre par le doigt de Dieu, nous révèle l’Ecriture, comme si les cœurs à qui elle s’adressait étaient eux-aussi de pierre. La nouvelle Loi, elle, sera inscrite sur des cœurs de chair, avait prophétisé Jérémie. Comme on persiste à l’interroger, Jésus se redresse et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre. » Cette réponse est géniale : elle renvoie chacun à sa propre conscience. Certes, la femme adultère a péché, mais qui d’entre ses accusateurs est parfaitement en règle avec la Loi ? Jésus se baisse de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Ainsi, il ne veut juger personne : il n’y aura pas de regard dur ou moqueur de sa part, chacun est mis en situation de se situer librement en face de sa conscience… Et c’est ainsi qu’un petit miracle se produit : ceux qui étaient venus à Jésus pour pouvoir l’accuser se laissent juger eux-mêmes, et par eux-mêmes. Avec un certain humour, Jean souligne que ce sont les plus âgés qui partent les premiers… Resté seul avec la femme en face de lui, Jésus se redresse pour lui parler. Il veut la libérer, non seulement de ses accusateurs qui voulaient la lapider, mais plus profondément de son péché. Eux étaient pécheurs, mais lui est parfaitement juste, et il a le droit de la condamner. Mais il lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » Un peu plus loin dans l’évangile, il dira : « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. » (Jn 12, 47) Ce n’est qu’à la fin des temps qu’il reviendra pour juger le monde. Pour l’heure, la femme peut partir mener une vie nouvelle.

 

Se détourner du péché est la première étape de la conversion, mais elle ne suffit pas. Il faut aussi se tourner dans la bonne direction, celle du Christ. C’est ce que Saul de Tarse a découvert sur le chemin de Damas. Jusqu’alors, il menait une vie morale irréprochable, mais il était hostile au Nazaréen. A partir du moment où il le rencontre, il ne va plus cesser de le suivre et de chercher à lui ressembler, au point de pouvoir écrire : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20). Ou encore, comme nous venons de l’entendre : « tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ. » (2° lect.) Humblement, il admet ses limites : « je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. »

Que signifie concrètement se laisser saisir par le Christ, à l’exemple de Paul ? Lui-même nous répond : « Il s’agit de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en reproduisant en moi sa mort, dans l’espoir de parvenir, moi aussi, à ressusciter d’entre les morts ». La connaissance du Christ n’est donc pas seulement intellectuelle et sentimentale : elle implique un engagement de tout l’être. Notons que Paul évoque en premier et en dernier, dans son énumération, la résurrection : ce n’est qu’en éprouvant la puissance de celle du Christ et en espérant la sienne propre que l’on peut être assez fort pour communier aux souffrances de sa passion et pour reproduire en soi sa mort.

 

Ainsi, frères et sœurs, la femme adultère – que nous pouvons assimiler à Marie-Madeleine, à la suite de beaucoup de pères de l’Eglise – et Paul se sont tous deux laissés saisir par le Christ. A partir de cette expérience fondatrice, ils n’ont eu de cesse de le saisir à leur tour : « oubliant ce qui est en arrière, et lancés vers l’avant », ils ont couru « vers le but pour remporter le prix auquel Dieu nous appelle là-haut ». Ils se sont convertis, non par leur obéissance servile à une Loi, mais par leur amour pour une Personne, l’Homme nouveau par excellence : le Christ Jésus. La justice dont il est question est celle « qui nous vient de Dieu et qui est fondée sur la foi au Christ » (2° lect.) Pendant la semaine à venir, cherchons nous-mêmes à le saisir. Oublions ce qui est en arrière, ces souvenirs du passé qui nous entravent : s’il s’agit de péchés que certains ont commis contre nous, pardonnons-leur ; s’il s’agit de péchés que nous avons commis nous-mêmes, allons demander pardon à ceux que nous avons offensés et recevons le sacrement de la réconciliation. C’est ainsi que nous nous laisserons renouveler par le Seigneur, et que nous participerons ensemble à l’avènement d’un monde nouveau, celui du Royaume de Dieu.

P. Arnaud

[i] Ou comme les animaux de la fable de La Fontaine, Les animaux malades de la peste, qui décident de mettre à mort l’âne, bouc émissaire qui leur permet d’échapper à leur responsabilité (d’où l’expression « haro sur le baudet »). C’est l’inverse de la communion des saints, dans laquelle chacun vit dans l’amour et le respect des autres, en commençant par les plus petits.