Que tous, ils soient un

« Que tous, ils soient un ». Frères et sœurs, ce désir d’unité si cher au Christ qu’il l’exprime à la fin de son testament spirituel, lors de la dernière Cène, est-ce aussi notre désir ? Depuis la chute dans le jardin d’Eden, prélude au meurtre d’Abel par Caïn, notre monde est déchiré par les divisions et les guerres : entre les nations (la commémoration du débarquement du 6 juin 1944 nous le rappellera bientôt), entre les communautés d’une même société, entre les membres d’une même famille, entre les conjoints d’un couple. C’est jusqu’à l’intérieur de nous-mêmes que nous sommes divisés, si souvent en proie à la culpabilité, à la peur… Alors, comment parvenir à l’unité ? Certains ont voulu créer une unité sans Dieu : c’est Babel (Gn 11), ce sont tous les totalitarismes, tels que le national-socialisme d’Hitler ou le communisme de Staline, ce sont tous les groupes dont le but est la recherche du profit ou du pouvoir, comme les mafias… leur ciment est fragile et, à un moment ou à un autre, il se délite. Pourquoi ? Parce que l’unité entre les hommes ne peut découler que de l’unité divine elle-même. C’est ce que dit Jésus : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. » Autrement dit, les hommes ne peuvent être unis entre eux que s’ils vivent unis à Dieu, qui est Lui-même communion entre trois Personnes… Des divisions, nous sommes en partie responsables, et en partie victimes : Satan, notre adversaire, est souvent appelé dans la Bible le diable (dia-bolos), celui qui divise. Seul l’Esprit Saint, l’Esprit de Vérité, peut nous protéger de lui et nous donner l’unité. Il nous a été donné, en particulier au jour de notre Confirmation, mais puisque les divisions demeurent non seulement dans l’humanité mais aussi dans l’Eglise, c’est que nous ne vivons pas assez sous son inspiration. Jésus a pourtant invité ses disciples, le jour de son Ascension vers le ciel, à attendre – et donc à désirer – l’Esprit Saint. Alors que nous nous apprêtons à célébrer la Pentecôte, dimanche prochain, grande fête de l’Esprit qui est aussi grande fête de l’unité, et en ce dimanche mondial de la communication, réveillons notre désir de l’Esprit en méditant sur la façon par laquelle il nous apprend à communiquer pour nous unir au Seigneur et les uns aux autres : il nous enseigne à écouter d’abord, et à parler pour témoigner ensuite.

 

D’abord, l’Esprit nous enseigne à écouter. Nous avons une bouche mais deux oreilles, ce qui implique une hiérarchie ! Pour commencer, nous devons écouter le Seigneur Lui-même. Le 1° commandement, que nos frères Juifs redisent chaque matin, commence ainsi: « Ecoute Israël ». Mais notre écoute est rendue difficile par les « bruits » extérieurs et intérieurs (incluant nos soucis et préoccupations) et par notre orgueil qui nous pousse à croire que nous possédons déjà la Vérité. En réalité, nul ne la possède, car elle est une Personne, le Christ, qui nous appelle à le suivre humblement : « je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6).

Ecouter le Seigneur implique d’écouter les hommes. Qui précisément ? En premier lieu, les autres chrétiens, qu’ils soient catholiques ou d’autres confessions. Chacun d’entre eux a reçu des lumières particulières par l’Esprit: « celui qui est saint vous a consacrés par l’onction, et ainsi vous avez tous la connaissance. » (1 Jn 2,20) Nos différences, loin d’être des problèmes, peuvent devenir des richesses.

Cela s’applique même aux non-chrétiens, chez qui Dieu a aussi fait germer des « semences de vérité », les semina verbi comme disaient les Pères de l’Eglise. L’Esprit Saint agit dans le cœur de tout homme, il « offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Gaudium et Spes 22). C’est parce qu’il en était convaincu que le pape Jean-Paul II lança les rencontres d’Assise en 1986. C’est la même conviction qui permit la création du groupe inter-religieux du XII° : pour aimer l’autre, il faut apprendre à le connaître, qu’il soit croyant ou non.

 

Cependant, reconnaître les semences de vérité que les autres possèdent n’empêche pas l’urgence de la mission, car c’est dans le Christ seulement que ces semences peuvent parvenir à maturité. Dans l’encyclique Redemptoris missio parue en 1990, Jean-Paul II s’élevait fortement contre une « mentalité marquée par l’indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les chrétiens […] qui porte à considérer que “toutes les religions se valent” » (n° 36). N’oublions pas que Jésus prie son Père avec cet objectif missionnaire : « Que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ». La recherche commune de la Vérité implique donc aussi le témoignage. En grec, le mot « témoin » se dit « martyr ». Les lectures de ce jour nous donnent de contempler deux martyrs. Le premier est Jésus lui-même. Dans l’Apocalypse de saint Jean, il se nomme « le témoin fidèle » (Ap 1,5 ; 3,14). Dans l’évangile du même Jean, Jésus dit à Pilate : «  Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » (Jn 18,37) Et celui qui écoute la voix du Christ pour en témoigner peut être appelé à aller jusqu’à l’effusion de sang : « Heureux ceux qui lavent leurs vêtements pour avoir droit aux fruits de l’arbre de vie » (2° lect.)… tellement heureux que l’Eglise a toujours placé les martyrs au somment de la « hiérarchie » des saints, au-dessus des « simples » confesseurs.

La première lecture nous rappelle le premier d’entre eux après le Christ: Etienne. Au lieu de se taire face à ses accusateurs, il a témoigné de sa Foi jusqu’au bout. Alors que certains dans l’histoire, même parmi les chrétiens, ont usé de la violence et même mis à mort au nom de la Vérité, lui s’est laissé mettre à mort. Mais le plus beau est la fin : comme le Christ son Maître sur la Croix, il a été capable de dire : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » (1° lect.) Voilà qui vaut tous les discours du monde… ou plutôt, voilà qui donne un poids infini au discours qu’il avait donné juste avant. Qui sait quelle influence cet évènement a-t ’il eu sur la conversion du futur saint Paul ?

Nous aussi, nous sommes appelés à témoigner de la Vérité. Il n’y pas que des paroles qui peuvent tuer, mais aussi certains silences. Peu de temps après la Pentecôte, Pierre répond aux autorités religieuses qui ont interdit aux apôtres de parler au peuple : «  il nous est impossible de nous taire sur ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4,20) et ils ont tous témoigné jusqu’au martyr. En 1938, les hommes politiques envoyés par la France et l’Angleterre n’eurent pas le courage de dénoncer les agissements d’Hitler, cédant aux nazis la Tchécoslovaquie sans presque rien demander en échange sinon de vagues promesses de paix. Winston Churchill eut ensuite cette parole célèbre : « Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre ».

 

Ainsi, frères et sœurs, l’unité en nous-mêmes, entre les chrétiens et entre les hommes n’est possible que si nous vivons dans l’Esprit de Vérité. Lui seul peut nous permettre d’être à l’écoute de Dieu et les uns des autres, et de témoigner les uns pour les autres. L’eucharistie que nous célébrons chaque dimanche est la source et le sommet de l’unité de notre communauté. Elle nous permet d’écouter la Parole de Dieu, et nous donne la force de témoigner ensuite de notre Foi. Notre société française, marquée par le relativisme, rêve d’unité autour de notre fameuse devise : « liberté, égalité, fraternité ». Mais au nom de ces grandes valeurs, certaines lois injustes ont été votées. Soyons vigilants pour reconnaître les graines de mensonge semées par Satan, comme l’ivraie au milieu du bon grain (cf Mt 13). Cette semaine, prions chaque jour l’Esprit Saint, et demandons lui de nous enseigner à mieux écouter, et à mieux témoigner de notre Foi. Et mardi prochain, souhaitons une bonne fin de ramadan à nos frères musulmans !