Chrétien, deviens ce que tu es[i]

Qu’est-ce qu’être baptisés, frères et sœurs ? « Baptizein », en grec, signifie « plonger » : il s’agit de plonger dans l’eau, symbole à la fois de pureté (c’est la pluie qui « lave » la terre), de mort (on peut se noyer), et de vie (nous devons boire pour vivre). Le croyant de tout temps a cherché à se purifier par l’eau : en s’y plongeant, comme les Egyptiens dans le Nil et les Indiens dans le Gange, ou par des ablutions, comme les Esséniens et les Musulmans. Le symbolisme de la renaissance par un déluge se trouve non seulement dans l’ancien testament, mais aussi dans les écrits mésopotamiens… Mais le baptême chrétien signifie beaucoup plus qu’une simple purification : nous avons été baptisés « au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », selon le dernier commandement que Jésus ressuscité a donné à ses apôtres : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19), qu’on pourrait traduire plus exactement : « baptisez-les vers (eis) le Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Autrement dit, plongez-les dans le mystère du Dieu Trinité (chez les Juifs, le Nom représente la Personne), mais d’une façon dynamique. Nous devons en effet prendre conscience que notre baptême a trois dimensions : le passé, car nous avons été baptisés, et nous pouvons en rendre grâce, notamment au jour anniversaire de l’évènement[ii]. Le présent, car nous sommes baptisés, et nous devons apprendre chaque jour à participer à la vie divine (cf 2P1,4 & « Chrétien, deviens ce que tu es » de saint Augustin), nous devons apprendre chaque jour à mourir au « vieil homme » qui est en nous et à renaître à « l’homme nouveau ». Le futur enfin, car c’est le jour de notre mort que nous serons véritablement baptisés, lorsque nous plongerons dans la mort avec le Christ, avant de ressusciter avec lui et avec tous les élus au dernier jour. Que ce soit au passé, au présent ou au futur, le baptême est toujours constitué de deux mouvements, une plongée et une remontée : nous devons d’abord prendre conscience que nous sommes de « pauvres pécheurs » (cf l’Ave Maria), avant de laisser l’Esprit nous transformer et nous « ressusciter », comme l’évangile va nous le montrer.

 

Avant de commencer sa renaissance, l’homme doit prendre conscience qu’il est pauvre et pécheur. L’orgueil est le principe de tous les péchés. Le plus grand drame de notre société sans Dieu est précisément de se croire toute-puissante, grâce notamment aux progrès de la technique, et de nier le péché. Elle le nie parce qu’elle nie la miséricorde de Dieu : sans reconnaître la possibilité du pardon, il est impossible de reconnaître le péché.

Au temps de Jean, le peuple Juif est en attente du Messie, et beaucoup accueillent son appel à préparer sa venue. Cet appel ne fait que répéter celui de tous les prophètes avant lui. Il reprend d’ailleurs les paroles de l’un d’entre eux, Isaïe, qui avait proclamé : « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits, et les escarpements seront changés en plaine. » (1° lect.) : ravins de nos manques d’amour, montagnes et collines de nos orgueils et vanités, passages tortueux et escarpements de nos vices ! Ce n’est pas un hasard si Jean baptise dans le Jourdain. D’abord, c’est l’endroit le plus bas de la terre, à environ 400m sous le niveau de la mer. Ensuite, c’est un fleuve non pas majestueux comme d’autres, mais « humble », souvent boueux, dont le nom signifie « descente », en hébreu. Enfin, c’est le fleuve que Josué a traversé avec le peuple hébreu pour entrer en Terre Promise, après 40 ans passés dans le désert… lieu propice pour reconnaître sa bassesse et commencer une nouvelle vie !

 

Une fois conscient de sa pauvreté et de son péché, et en attente du Sauveur, l’homme peut alors se laisser transformer. Jean ne peut réaliser cette deuxième étape car il n’est que le Précurseur : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. » Jean prépare le chemin, mais seul le Messie pourra donner à l’homme d’entrer dans la Terre Promise. Il le pourra en lui donnant l’Esprit Saint, qui agira en lui comme un feu : feu pour détruire en lui le mal, feu pour illuminer son chemin vers Dieu, feu pour embraser son cœur d’Amour et l’unir à son Bien-Aimé…

C’est Jésus qui est venu, comme un nouveau Prométhée, nous apporter ce feu divin de l’Esprit Saint. Si Jésus a pu répandre sur nous cet Esprit, c’est parce qu’il en était lui-même rempli, comme en témoigne le Père et l’Esprit lui-même qui se manifeste comme une colombe. La colombe est non seulement un symbole de pureté (par sa blancheur), de fidélité (elle reste en couple) et de communication (elle était un messager hors-pair, comme son cousin le pigeon, avant l’arrivée de la poste), elle est aussi porteuse de bonne nouvelles dans la bible. Elle rappelle d’abord celle qui, selon les rabbins, planait sur les eaux au moment de la Création (cf Gn 1,2). Elle rappelle aussi celle que Noé avait envoyée après le déluge, et dont le retour avec une branche d’olivier dans le bec avait manifesté l’avènement d’une terre nouvelle. Elle symbolise enfin l’élan amoureux. Le Cantique des cantiques déborde d’appellations intimes où la bien-aimée est appelée « ma colombe ». Elle est donc signe du renouvellement de la création et de l’alliance avec Dieu. L’Esprit Saint est à la fois feu et colombe, force et douceur.

Ce qui est préfiguré au Jourdain adviendra réellement lorsque Jésus mourra et ressuscitera. Ce sera lors son véritable baptême, qu’il avait lui-même annoncé (cf Mc 10,39). Ce sera le moment où il allumera enfin le feu qu’il lui tardait tant d’allumer (cf Lc 12,49). De son côté transpercé sur la croix, l’eau jaillira, préfigurant le sacrement du baptême. Et après sa résurrection, il enverra sur ses disciples son esprit[iii], grâce auquel ils pourront à leur tour transmettre le feu de l’amour divin…

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous appelle à devenir ce que nous sommes. « Chrétien, reconnais ta dignité », disait saint Léon le grand. Par le baptême, nous sommes devenus fils et filles de Dieu, mais nous n’agissons pas toujours d’une manière conforme à notre identité, et nous salissons notre vêtement blanc. Alors, sans cesse, acceptons de replonger dans l’eau de notre baptême, comme l’a fait le Christ : en descendant dans l’eau du Jourdain parmi les pécheurs, il a été « humilié » ; après en être remonté, il a été « exalté » par le Père et par l’Esprit. Sans cesse, prenons conscience de notre pauvreté et de notre péché. Le baptême apporte le pardon de Dieu, c’est pourquoi il a pendant longtemps été reçu le plus tard possible, jusque sur le lit de mort par Constantin. Mais les chrétiens ont ensuite compris que le sacrement de réconciliation était une sorte de nouveau baptême, qui nous renouvelle dans notre filiation divine. Le recevons-nous régulièrement ? Souvenons-nous aussi que nous avons reçu l’Esprit lors de notre Confirmation, et que nous le recevons également au cours de chaque messe, comme nous le demandons dans la prière eucharistique : « que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire »… Participons-nous à l’Eucharistie aussi souvent que nous le pouvons, notamment en semaine de temps en temps ? Cette semaine, frères et sœurs, pour bien commencer l’entrée dans le temps « ordinaire », pourquoi ne pas recevoir le sacrement de réconciliation et participer à une messe en semaine ? Alors, nous pourrons vivre de manière « extraordinaire », car notre cœur sera embrasé du feu « fort et doux » de l’amour de Dieu, que nous pourrons transmettre à notre tour à tous ceux que nous rencontrerons. Dans le secret de notre cœur, nous pourrons entendre le Seigneur nous redire sans cesse: « Toi, tu es mon Fils/ma fille  bien-aimé(e) ; en toi, je trouve ma joie. »

P. Arnaud

[i] Au début de la célébration : « Bon anniversaire, frères et sœurs. En célébrant le baptême du Christ, c’est nos propres baptêmes que nous fêtons. Même s’ils tous eu lieu à des dates différentes, ils se rattachent tous à celui du Christ, qui a lui-même reçu le baptême de Jean. Certes, celui-ci n’était qu’une préfiguration du baptême chrétien, car il n’était que la reconnaissance du péché et du désir de se convertir. Mais par cet événement, nous pouvons mieux comprendre le sens de notre propre baptême ».

« France, qu’as-tu fait de ton baptême ? » (S. Jean Paul II au Bourget) : cette question, nous pouvons nous la poser tous : « qu’ai-je fait de mon baptême ? »

[ii] NB : La plupart d’entre nous avons été baptisés tout petits, sans être conscients de la portée de l’événement. Pourquoi l’Eglise encourage-t-elle cette pratique, alors que les baptistes protestants et d’autres la récusent ? Tout simplement pour souligner que le baptême est avant tout une grâce, que nous recevons sans aucun mérite de notre part. C’est ce que saint Paul a bien compris, lui qui comptait sur ses propres forces pour obéir à Dieu, avant sa conversion : « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. C’est elle qui nous apprend à rejeter le péché et les passions d’ici-bas, pour vivre dans le monde présent en hommes raisonnable, justes et religieux[…] Par sa grâce, nous sommes devenus des justes, et nous possédons dans l’espérance l’héritage de la vie éternelle. » (2ème lect., que nous entendons aussi la nuit de Noël) Le baptême est avant tout une grâce, mais cela n’empêche pas la collaboration de l’homme, au contraire : Dieu sème les graines de vie éternelle, mais elles ne porteront du fruit que si veillons sur leur croissance.

[iii] Cf Jn 20,22 & Ac 2