Que ton règne vienne !

Frères et sœurs, comment faire advenir le Règne de Dieu sur l’univers ? Comment faire advenir ce royaume où « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble » (Is 11,6) et où tous les hommes s’aimeront comme des frères et respecteront toutes les autres créatures ? Au fond de nos cœurs, nous désirons tous le règne de Dieu, mais il semble si loin ! Pour commencer, nous devons demander chaque jour au Père : « que ton règne vienne » ! Mais la prière ne suffit pas : « « Prie comme si tout dépendait de Dieu… et agis comme si tout dépendait de toi ! » disait saint Ignace. Alors, comment devons-nous agir ? Le Christ nous répond à travers Pilate, qui est « roi » de la Judée et vassal d’un roi plus grand, César. Lorsqu’il lui demande : « Alors, tu es roi ? » (sous-entendu toi aussi), Jésus lui répond : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » Le Christ est roi de l’univers, mais pas à la manière du monde. C’est lorsqu’il « siégera » sur la croix que sa royauté se manifestera, lorsqu’il sera ceint de la couronne d’épines, après avoir été vêtu d’un manteau pourpre et avoir porté un roseau en signe de sceptre. C’est alors seulement que sera révélée pleinement sa puissance, qui est celle de l’amour. Mais celui-ci ne peut régner sans la vérité : « amour et vérité se rencontrent » (ps 84,11). C’est pourquoi, pour que le règne de Dieu advienne dans le monde, le Christ nous donne deux conditions : écouter sa Parole d’abord. En témoigner ensuite.

 

« Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ». Pour commencer, nous devons écouter la Parole du Christ. Cela implique que nous appartenions à la vérité. Tant de personnes pensent orgueilleusement la détenir, alors que nous devons nous laisser humblement posséder par elle ! Cela signifie-t-il que nous y perdrons notre liberté, comme beaucoup le craignent ? Au contraire, la vérité nous rend libres (Jn 8,32). Ce sont les mensonges et les erreurs du monde qui nous rendent esclaves. Cet esclavage est parfois manifeste (celui de la drogue, par exemple), et parfois plus caché. L’argent, le pouvoir et le plaisir[i], que beaucoup cherchent à posséder toujours plus, finissent souvent par les posséder eux-mêmes… La demande de Pilate, « qu’est-ce que la vérité ? » qui suit le passage que nous venons d’entendre (Jn 18,38), peut être interprétée soit comme un signe de relativisme, comme celui de beaucoup à nos contemporains (« à chacun sa vérité »), soit comme signe d’une recherche sincère. Mais le Christ ne répond pas à cette question à ce moment-là. Plus tôt, il avait dit à ses disciples : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6). La vérité ne peut être possédée mais seulement approchée car elle demande de cheminer avec elle. Et puisqu’elle est une Personne, cela signifie que nous devons l’écouter, comme les disciples d’Emmaüs qui ont senti leur cœur se réchauffer en marchant avec Jésus et en l’écoutant (Lc 24).

Alors, demandons-nous si nous sommes suffisamment à l’écoute du Christ. « Shema », « écoute Israël », c’est ainsi que commence le premier de tous les commandements. La voix du Christ retentit à travers les Ecritures, mais aussi à travers les personnes, les événements, notre conscience… Bien souvent, nous étouffons cette voix parce que nous ne voulons pas l’entendre. Parfois, c’est un pauvre qui nous dérange. D’autres fois, nous ressentons un appel intérieur à agir mais nous n’y donnons pas suite… Ce qui règne dans beaucoup de personnes, ce n’est pas le Christ, c’est plutôt la confusion. Nous entendons tellement d’informations, certaines fausses (les fake news), certaines vraies mais qui semblent essentielles alors qu’elles ne le sont pas. Nous devons ressembler à la Vierge Marie, qui « retenait tous ces événements (paroles et actions de son Fils) et les méditait dans son cœur » (Lc 2,19).

 

« Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité ». Ecouter la Parole du Christ est nécessaire, mais pas suffisant. Pour que son règne vienne, nous devons aussi en témoigner. En grec, le mot se dit « martyrios ». Jésus ne s’est pas contenté de belles paroles, il a donné sa vie pour nous. Il a été mis à mort par tous ceux qui refusaient d’entendre la vérité.

Avant et après lui, une multitude d’hommes ont connu le même sort. Jean Baptiste a été mis à mort par Hérode, qui refusait d’entendre qu’il n’avait pas le droit d’épouser la femme de son frère. Au XII° siècle, Thomas Becket a été mis à mort parce que le roi d’Angleterre Henri II refusait d’entendre qu’il ne pouvait pas devenir lui-même le chef de l’Eglise. Au XVI° siècle, Thomas More a été jeté en prison puis décapité par le roi Henry VIII pour la même raison et parce qu’il refusait d’entendre qu’il n’avait pas le droit de répudier sa femme. Comme dans le cas de Jésus et de Pilate, les affrontements entre les rois de la terre et les représentants du Roi de l’univers parcourent toute l’histoire.

Et nous, sommes-nous prêts à témoigner de la Bonne Nouvelle ? Aimons-nous le Christ jusqu’à mourir pour lui ? Dans le passé, les paysans aimaient – ou au moins respectaient – suffisamment leur roi pour partir à la guerre à son appel, et beaucoup y perdaient la vie. Le Roi lion Mufasa est mort en voulant défendre son fils et en même temps son royaume. Jean Baptiste, Thomas Becket et Thomas More sont morts en voulant demeurer fidèles à la vérité. Aujourd’hui, beaucoup de combats sont à mener. Certains font l’unanimité, comme celui contre les discriminations raciales ou sexistes, mais d’autres sont l’apanage des chrétiens ou de petites minorités, comme la défense de la vie à son origine et à son terme. Avec le mouvement woke qui devient de plus en plus puissant, nous devons parfois nous élever contre la pensée ambiante, le politiquement correct, notamment en France où la séparation des pouvoirs qu’implique la laïcité (qui est une bonne chose, tirée de l’évangile) paralyse certains chrétiens.

 

Pour conclure, frères et sœurs, il faut distinguer deux étapes dans la royauté du Christ. La première a commencé il y a 2000 ans, lorsque le Fils de Dieu s’est incarné et a donné sa vie pour nous. La seconde commencera au jour de son retour, lorsqu’il reviendra dans la gloire. La première étape était dans l’humilité, la seconde sera dans la gloire. Sa divinité était voilée, elle sera manifeste. Il était venu pour nous sauver, il reviendra pour nous juger. Son règne a donc déjà commencé, il est au milieu de nous (cf Lc 17,21), mais nous pouvons ne pas le voir. Lors de son retour, en revanche, qui ressemblera à la tombée de l’éclair qui illumine l’horizon d’un bout à l’autre (cf Lc 17,24), « quand tout sera mis sous le pouvoir du Fils, lui-même se mettra alors sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous » (1Co 15,28). D’ici là, son règne va-t-il s’étendre, devenir de plus en plus puissant, ou va-t-il diminuer comme une peau de chagrin ? Il a dit « ma royauté n’est pas DE ce monde », mais elle peut exister DANS ce monde. A début du XX° siècle, beaucoup de cristeros mexicains, au cri de « Christ-Roi ! », ont donné leur vie pour lutter contre leurs gouvernants et rétablir la justice dans leur pays. Nous aussi avons un combat à mener, que l’Apocalypse de saint Jean et plus tard saint Ignace ont bien décrit : nous combattons soit sous les ordres du Fils de Dieu, soit sous ceux de son adversaire, Satan. Certes, celui-ci possède une grande armée, celle des démons et de ceux qui agissent sous leur influence, et c’est pourquoi Jésus l’appelle le prince de ce monde… Mais n’ayons pas peur, car le même Jésus l’a vaincu pendant tout son ministère et définitivement sur la croix. Puisque nous sommes rois avec lui nous aussi, depuis notre baptême, écoutons-le sans cesse et témoignons de lui sans craindre la souffrance et la mort. Et avec lui, redisons sans cesse au Père : « Que ton Règne vienne » !

P. Arnaud

[i] Aujourd’hui, on sait que des enfants de 9-10 ans se trouvent confrontés, volontairement ou involontairement, aux images pornographiques sur Internet, abîmant ainsi leur âme et tissant à leur insu des liens de dépendance.