Merci, pardon, s’il te plaît

Frères et sœurs, comment bien commencer cette nouvelle année ? Je vous propose de le faire avec la Vierge Marie, la Mère de Dieu que nous célébrons aujourd’hui. Saint Luc nous dit à son sujet, après la venue à la crèche des bergers qui « racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de l’enfant », qu’elle « retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Nous aussi, retenons tous les événements qui ont marqué l’année passée et méditons-les dans nos cœurs. Cela signifie que nous devons faire travailler notre mémoire afin de nous souvenir de ce qui a été important, en termes aussi bien de faits survenus que de paroles reçues (le mot dabar, en hébreu, signifie les deux à la fois). La bible insiste souvent sur la nécessité de se souvenir, car l’homme a tendance à oublier, si bien qu’il ne peut profiter du passé pour améliorer sa façon de vivre le présent et préparer son avenir. Dieu, pour sa part, a une mémoire meilleure qu’un éléphant : l’expression « Dieu se souvint » revient comme un leitmotiv dans la bible. Nous-mêmes, aujourd’hui, souvenons-nous des événements marquants de l’année 2022, d’abord des merveilles que le Seigneur a réalisées afin de lui dire « merci » et ensuite des péchés que nous avons commis afin de lui en demander « pardon ». En conclusion, nous compléterons notre prière par un « s’il te plaît », d’une part pour vivre davantage dans la reconnaissance et l’émerveillement des dons que le Seigneur nous prodiguera dans les 12 prochains mois, et d’autre part pour être plus vigilants et ne pas commettre à nouveau les mêmes péchés.

Pour commencer, le souvenir des événements de l’année doit nous conduire à l’action de grâce et à la louange. Nous tendons à être aveugles et à nous plaindre en voyant le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein. Nous ressemblons aux Hébreux dans le désert, qui « récriminèrent » souvent contre Dieu et contre Moïse. Au contraire, les psaumes nous invitent sans cesse à remercier Dieu, comme celui que nous avons chanté tout à l’heure : « Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble ! » Prenons exemple sur les bergers qui, en repartant de la crèche, « glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé ». Le plus bel hymne d’action de grâce – le Magnificat – a été donné un peu plus tôt par la Vierge Marie elle-même, lorsqu’elle rencontra sa cousine Elisabeth : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur… » (Lc 1,46-55)
Bien souvent, c’est seulement après coup que nous prenons conscience de l’action de Dieu dans nos vies, comme les pèlerins d’Emmaüs qui ne comprennent qu’à la fraction du pain que c’est le Christ qui les a accompagnés depuis Jérusalem et leur a ouvert l’intelligence au sens des Ecritures, rendant leur cœur « brûlant » (Lc 24,32). De même saint Jean souligne plusieurs fois dans son évangile ce travail de relecture rendu possible par l’Esprit Saint donné après la mort et la résurrection du Christ, comme il l’avait annoncé à ses disciples lors de son dernier repas : « le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,26). Un exemple parmi d’autres, la parole mystérieuse qu’il avait dite après avoir chassé les marchands du Temple : « détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai » que ses disciples se rappelèrent et comprirent après sa résurrection (Jn 2,22).
Dans son poème Ademar de Barros relit sa vie comme une marche sur le sable. Il reconnaît que le Christ l’a accompagné sans cesse mais il s’aperçoit que lors des moments les plus difficiles, il n’y avait plus qu’une seule trace de pas… Lui reprochant de l’avoir abandonné à ces moments-là, il l’entend lui répondre : « Mon ami, les jours où tu ne vois qu’une trace de pas sur le sable, ce sont les jours où je t’ai porté ! »  Sachons reconnaître dans notre passé les moments où le Seigneur nous a portés …

Le souvenir des merveilles que le Seigneur a réalisées pour nous doit nous rendre plus sensibles au mal que nous-mêmes avons commis. C’est la lumière qui permet de prendre conscience de la poussière… Aussi, souvenons-nous aussi de nos péchés. Il ne s’agit pas de nous culpabiliser pour perdre confiance en nous-mêmes, mais de faire la vérité pour nous permettre de progresser. Un animal ne peut se fier qu’à son instinct, mais nous-mêmes possédons la mémoire, l’intelligence et la volonté. Le psaume 50, que nous récitons tous les vendredis dans l’office, commence par ces mots : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi » (v.3&5). Prendre conscience de son péché n’est pas si évident car nous avons naturellement tendance à nous autojustifier. Au lieu de nous battre la coulpe, nous préférons accuser les autres, comme Adam qui accuse Eve (Gn 3,12) et Eve qui accuse le serpent (Gn 3,13). Ou encore comme le pharisien qui prie au Temple : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain » (Lc 18,11). Cet aveuglement volontaire peut être profond et durable, comme celui de David après son adultère avec Bethsabée et son assassinat d’Urie (2Sam 11). Il fallut l’intervention du prophète Nathan pour que le roi ouvre enfin les yeux (« j’ai péché contre le Seigneur ! ») et s’en repente par le jeûne et la prière (2Sam 12).
Cette prise de conscience, qui ne doit pas être effectuée seulement une fois par an mais plutôt chaque jour, est source d’un immense bonheur : « Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense, dont l’esprit est sans fraude » (Ps 31,1-2) ! Pourquoi ? Que nous le voulions ou non, notre péché nous affaiblit comme un poison dans notre sang : « Je me taisais et mes forces s’épuisaient à gémir tout le jour : ta main, le jour et la nuit, pesait sur moi ; ma vigueur se desséchait comme l’herbe en été » (Ps 31,3-4). Aussi l’aveu est-il libérateur : « Je t’ai fait connaître ma faute, je n’ai pas caché mes torts. J’ai dit : Je rendrai grâce au Seigneur en confessant mes péchés. Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute » (Ps 31,5). Il est libérateur parce que le Dieu en lequel nous croyons n’est pas d’abord un Juge, mais un Père plein de miséricorde : « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; il n’est pas pour toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches… Aussi loin qu’est l’orient de l’occident, il met loin de nous nos péchés » (Ps 102,8-12). Si Jésus est si « dur » avec les pharisiens, c’est parce qu’ils refusent de faire la vérité en eux-mêmes : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure » (Jn 9,41).
Certes, la Vierge Marie est la seule qui n’a jamais dû confesser son péché, mais elle était assez lucide pour reconnaître que cette grâce lui venait de Dieu seul, qu’elle appelle son « Sauveur » Lc 1,47).
En demandant pardon à Dieu, nous lui demandons en même temps de nous aider à ne plus refaire les mêmes péchés, comme l’exprime si bien la conclusion de l’acte de contrition : « Je prends la ferme résolution, avec le secours de Votre sainte grâce, de ne plus Vous offenser et de faire pénitence. »

Ainsi, frères et sœurs, prions la Vierge Marie d’intercéder pour nous afin que le Saint-Esprit nous donne de nous souvenir des mois passés dans sa lumière. C’est ainsi qu’après lui avoir dit « pardon » et « merci », demandons aussi au Seigneur : S’il te plaît, aide-nous à vivre les 12 prochains mois « prudents comme les serpents, et candides comme les colombes » (Mt 10,16) ! C’est ainsi que nous serons assez vigilants pour ne pas pécher, et simples comme des enfants pour pouvoir nous émerveiller sans cesse, dans la confiance et l’abandon. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort !