Je vous donne ma paix

Frères et sœurs, vivons-nous dans la paix ? Je ne parle pas de la paix extérieure, dont la situation actuelle en Ukraine nous fait mesurer la fragilité. Je parle de la paix intérieure. Si souvent, nous nous laissons bouleverser, à l’image des apôtres au moment du dernier repas, après que Jésus leur ait annoncé sa mort prochaine. Il leur dit : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.  Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » mais il ajoute : « ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne ». La manière du monde, c’est celle des Romains, qui disaient : « si vis pacem, para bellum »[i] et qui ont établi la paix (bien fragile elle aussi, perturbée par des guerres ici et là) par le glaive. La manière du Christ de nous donner la paix passe par un autre glaive, celui de sa parole qui est « vivante, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants » (He 4,12). Il nous révèle aujourd’hui une vérité qui dépasse tout ce que nous pourrions imaginer : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure ». En celui qui garde la parole du Christ, Dieu lui-même vient demeurer. Quelle folie de la part de Celui que l’univers ne peut contenir ! Que craindre alors ? Saint Paul interroge : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8,31) Et dans une magnifique prière, sainte Thérèse d’Avila écrit : « Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit ».  L’enjeu pour nous est donc de garder la parole du Christ, afin que Dieu demeure en nous. Mais cette garde n’est pas si facile, elle exige un combat contre 3 ennemis, que nous allons dénoncer à l’aide de la parabole du semeur (Mt 13) : la paresse, la frivolité et les mauvais désirs.

 

Le premier ennemi est la paresse. Dieu sème avec générosité, mais à cause de cette paresse, nous laissons ses grains tomber « au bord du chemin » (v.4) Cela signifie ne pas faire l’effort soit d’écouter la Parole soit de la comprendre : «  Quand quelqu’un entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur » (v. 19). Jamais il n’a été si facile de recevoir la Parole de Dieu, et de se former pour mieux la comprendre. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les chrétiens n’étaient pas autorisés à posséder une bible, même s’ils étaient religieux ou religieuses. Mais ils la connaissaient bien pourtant, parce que dès qu’ils l’entendaient (pendant les offices en particulier), leur attention était maximale. Avoir la foi du charbonnier, c’est bien si cela signifie avoir une foi simple, mais c’est mal si cela signifie ne pas chercher à progresser. Aujourd’hui, la Parole biblique est à notre disposition de multiples façons : sous forme papier, sous forme électronique, sous forme audio… Combien de temps consacrons-nous chaque jour à son écoute ? Quel effort déployons-nous pour la comprendre ?

Pour nous garder de l’ennemi de la paresse, qui pourrait venir de notre frustration de ne pas réussir à comprendre la parole de Dieu, Jésus nous assure que « l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom,
lui, vous enseignera tout »
. Même si nous ne sommes pas des génies et même si nous ne pouvons pas passer autant de temps que les théologiens à la méditation de la Parole de Dieu, soyons sûrs que nous pouvons beaucoup en retirer grâce à cet Enseignant qui nous propose son assistance depuis notre baptême.

 

Le deuxième ennemi est la frivolité, qui se manifeste dans un manque de persévérance. Certains grains semés par le Seigneur tombent sur un sol pierreux où ils n’ont pas beaucoup de terre ; ils lèvent aussitôt, parce que la terre est peu profonde. Mais dès que le soleil se lève, ils brûlent et, faute de racines, ils sèchent. Le Christ dénonce ici « celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt » (v.20-21).

Pour nous garder de cet ennemi, nous pouvons à nouveau compter sur l’Esprit Saint, que Jésus appelle ici « le Défenseur » (parakletos, qu’on pourrait traduire aussi par le Consolateur). Parmi ses 7 dons, c’est celui de force qui nous permet de résister aux détresses et aux persécutions. Jésus nous a prévenus : « celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé » (Mt 10,22).

 

Le troisième ennemi, ce sont les mauvais désirs : avarice, envie, luxure, gourmandise (4 des péchés capitaux!)… Jésus les compare à des ronces qui poussent et étouffent les grains, et il dénonce clairement ensuite « celui qui entend la Parole ; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit » (v. 22). Jamais le chrétien n’a eu à sa disposition autant de richesses pour connaître et comprendre la bible, je le répète, mais jamais il n’a eu non plus autant de tentations pour s’en détourner.

Pour nous garder des mauvais désirs, nous pouvons encore une fois compter sur l’Esprit Saint, dont Jésus nous assure qu’il nous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.  Comme la nature, le cœur humain a horreur du vide, et ce n’est que si notre désir de la Parole de Dieu se refroidit qu’il se laissera envahir par d’autres désirs. Nous pouvons prendre exemple sur Marie, qui « retenait tous les événements (au sens de faits mais aussi de paroles de Dieu) et les méditait dans son cœur » (Lc 2,19.51)

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous donne sa paix, non à la manière du monde, mais par le glaive de sa Parole, qu’il nous appelle à garder en nous. Cette garde nécessite un combat qui peut être rude (comme le combat d’hommes disait Rimbaud), c’est pourquoi in fine, nous ne pouvons accepter et remporter ce combat que si nous aimons Jésus : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ». L’Esprit Saint nous défend contre la paresse, la frivolité et les mauvais désirs parce que, avant tout, il nous donne d’aimer le Christ. Dans les Actes des Apôtres, que nous entendons en première lecture depuis le début du temps pascal, il est sans cesse à l’œuvre non pour se glorifier lui-même, mais pour glorifier le Père et le Fils. C’est ainsi que saint Pierre a pu dire, lors du premier concile (dit de Jérusalem) : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous » les obligations de la loi de Moïse, redonnant ainsi la paix aux disciples agités par « un affrontement ainsi qu’une vive discussion » sur la question de savoir comment intégrer les païens à leur communauté, qui était au départ composée uniquement de Juifs. Nous aussi, nous sommes parfois désorientés ou même bouleversés et effrayés par les événements. Alors, souvenons-nous que la Jérusalem céleste «  n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau » (2° lect.) Même – et surtout – lorsque nous sommes dans les ténèbres, le Christ est notre lumière. Aimons-le de tout notre cœur, gardons sa Parole avec l’aide de l’Esprit Saint, et nous pourrons alors demeurer dans sa paix et la bâtir autour de nous. « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! » (Mt 5,9)

P. Arnaud

[i] Si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre.