Chaque arbre  se reconnaît à son fruit

Frères et sœurs, comment pouvons-nous porter de bons fruits ? Chacun de nous peut être comparé à un arbre, planté dans la terre et dirigé vers le ciel[i]. Mais il y a toutes sortes d’arbres : « Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces ». Alors, produisons-nous des fruits que ceux qui nous entourent  vont pouvoir savourer, en particulier celui de la paix (3ème fruit de l’Esprit Saint)[ii], ou des épines et des ronces qui vont les blesser ? La réponse dépend de notre cœur : « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais ». Ce bien et ce mal vont se concrétiser dans toutes nos actions, mais en particulier dans nos paroles. Jésus le dit clairement : « ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur ». Il corrobore ainsi ce qu’écrivait Ben Sirac le Sage : « C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger » (1° lect.). Or, nos paroles ont une influence que nous ne mesurons pas toujours. Elles peuvent  donner la vie, ou la mort[iii]. Avant même les missiles et les obus, le mensonge et la désinformation sont  des armes que tous les régimes totalitaires utilisent, comme l’histoire mais aussi l’actualité le montrent bien. Saint Paul nous exhorte ainsi: «aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il en est besoin, dites une parole bonne et constructive, bienveillante pour ceux qui vous écoutent. » (Ep 4,29) Et il demande aux Colossiens : « Que votre parole soit toujours bienveillante, pleine de force et de sel, sachant répondre à chacun comme il faut. » (Col 4,6) C’est ainsi que par nos paroles, nous pouvons devenir de bons guides pour nos frères, ou au contraire les faire tomber dans les trous du chemin, comme un aveugle guidant un autre aveugle… Alors, reprenons notre question initiale : comment pouvons-nous porter de bons fruits ? Il faut 3 conditions : être dans une bonne terre ; être fécondés par la pluie; être éclairés par le soleil.

 

Premièrement, un arbre a besoin d’être enraciné dans une bonne terre. « Terre » se dit « humus » en latin. La première condition de la fécondité est donc l’humilité, qui est le fondement de la vie spirituelle. L’orgueil aveugle, c’est pourquoi Jésus dit aux Pharisiens : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’ votre péché demeure. » (Jn 9,41) Sans cesse, nous devons reconnaître que nous sommes aveugles, parce que nous sommes pécheurs et de pauvres créatures. C’est ce que nous faisons plusieurs fois dans la célébration eucharistique : au moment du confiteor, du kyrie, du « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir »… Dimanche dernier, le Christ a placé la barre très haut : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. » (Lc 6,27) Or, comment avons-nous tendance à agir ? Plutôt de façon hypocrite, en jugeant les autres, comme Jésus le dit à la foule : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère ». Comment devenir plus humbles ? Notamment en « profitant » de nos échecs et de nos défauts, qui constituent le « fumier » sur lequel les vertus pourront grandir. Saint Philippe Néri disait souvent : « Seigneur, méfie-toi de Philippe » !

 

Deuxièmement, un arbre a besoin d’eau. Le prophète Isaïe écrit : « la pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, pour donner la semence au semeur et le pain a celui qui mange ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce que je veux, sans avoir accompli sa mission. » (Is 55,10‑11) Sans la Parole de Dieu, nous ne pouvons pas porter du bon fruit. Beaucoup de paroles humaines sont superficielles, ou même « remplies d’un venin mortel » (Jc 3,8). Quant à la Parole de Dieu, il ne suffit pas de l’entendre, comme Jésus l’explique dans la parabole du semeur. Ce n’est que si elle est accueillie dans un cœur assoiffé qu’elle portera du fruit : les grains «  tombés sur la bonne terre ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. » (Mt 13,8)

 

Troisièmement, un arbre a besoin de la lumière du soleil. Nous avons trop tendance à nous plaindre de Dieu (consciemment ou inconsciemment lorsque nous nous plaignons de la vie) ou des autres, au lieu de rendre grâce pour tout ce qu’ils font de bien. Souvenons-nous que le mot eucharistie signifie « action de grâce », et chacune des préfaces commence par ces mots ou d’autres semblables: « vraiment, il est juste et bon de te rendre grâce, toujours et en tout lieu ». Les médias braquent leurs caméras principalement vers les zones d’ombre, ce qui se justifie en partie car nous ne pouvons nous désintéresser des souffrances des autres, mais nous devons aussi nous tourner vers la lumière, comme le font les tournesols qui changent d’inclinaison avec le soleil. C’est ce que Paul fait très souvent dans ses lettres, malgré les épreuves qu’il rencontre. C’est ainsi qu’il écrit aux Corinthiens, après avoir évoqué la résurrection que nous attendons : « Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. » (2° lect.) Saint François d’Assise aimait chanter lorsqu’il arpentait les chemins. Mais lorsqu’il était confronté aux épreuves, il continuait de le faire, comme lorsqu’il parle de la joie parfaite après avoir été refusé à l’entrée d’un couvent, alors qu’il était fatigué et trempé par la pluie… Et la petite Thérèse a écrit : « Tout est grâce ».

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous invite à porter un fruit savoureux pour ceux qui nous entourent, notamment celui de la paix. Trop souvent, nous portons des fruits pourris, ceux du verbiage, de la médisance, et même de la calomnie, qui engendrent des conflits. A une de ses pénitentes qui s’en confessait, saint Philippe Néri demanda comme pénitence de traverser Rome en plumant une poule. Lorsqu’elle revint le voir, il lui demanda d’aller ramasser les plumes. Comme elle lui répondait que ce n’était pas possible, il lui rétorqua qu’il n’était plus possible non plus de réparer les dégâts causés par les calomnies et par les médisances… Au contraire, nous avons tous fait l’expérience d’entendre des paroles qui nous ont donné la vie. Un « je t’aime » de la part de notre maman, de notre papa, de notre conjoint plus tard… Un conseil avisé d’un ami… Une parole de sagesse qui nous a illuminés. Alors, soyons très vigilants par rapport à nos propres paroles, afin qu’elles puissent aider nos frères à éviter les pièges et les « trous » de la vie, et à se diriger vers le Royaume. Cette mission peut sembler au-delà de nos capacités, mais elle nous est pourtant demandée par le Christ : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître ». Il est le seul véritable guide, le seul pasteur, mais il nous invite à nous laisser former par lui, afin que nous formions d’autres disciples nous-mêmes. Pour cela, nous devons demeurer dans l’humilité, à l’écoute de la parole de Dieu et dans l’action de grâce. Et si nous prenions ces 3 résolutions pour le Carême qui commencera mercredi ?

P. Arnaud

[i] « Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent, mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit ! Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne meurt » (Ps 1, 1‑3)

 

[ii] « Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. » (Ga 5,22‑23)

[iii] Saint Jacques écrit : « les humains sont arrivés à dompter et à domestiquer toutes les espèces de bêtes et d’oiseaux, de reptiles et de poissons ; mais la langue, aucun homme n’est arrivé à la dompter, vraie peste, toujours en mouvement, remplie d’un venin mortel. » (Jc 3,5‑8)