Je fais de toi un prophète

Frères et sœurs, sommes-nous de bons prophètes ? Le jour de notre baptême, nous sommes devenus non seulement prêtres et rois, mais aussi prophètes. Qu’est-ce qu’un prophète ? Contrairement à ce qu’enseigne le Petit Robert, ce n’est pas celui qui peut prédire l’avenir, comme les devins. Le mot est formé de deux termes grecs : phèmi, « parler », et pro, « au nom de ». Le prophète est donc celui qui parle au nom de Dieu. Dans quel but ? Nous allons le comprendre à travers les textes de ce dimanche. Premièrement, le prophète enseigne la Loi de Dieu. Deuxièmement, il corrige le peuple qui se détourne de cette Loi. Troisièmement, il montre l’exemple, jusqu’à offrir sa vie en réparation des péchés de ce peuple.

 

Premièrement, le prophète enseigne la Loi de Dieu. Dans l’Ancienne Alliance, c’est ce que fait Moïse après être redescendu du Sinaï avec les 2 tables de pierre. Dans la Nouvelle Alliance, c’est le Christ qui enseigne la Loi nouvelle – « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34) – mais ses disciples ont ensuite explicité cette Loi, chacun à leur manière. C’est notamment le cas de Paul dans son fameux hymne à la charité qu’il adresse aux Corinthiens. Nous l’avons entendu dans de nombreux mariages. Pour beaucoup, l’amour est avant tout un sentiment qui ne se contrôle pas. La preuve, on parle en français de « tomber amoureux », comme on dit aussi « le sort est tombé ». En fait, l’amour est beaucoup plus qu’un sentiment, il engage toute la personne. Le premier commandement est : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6,5). Le cœur, dans la bible, est le siège de la volonté, de la mémoire, de l’imagination. L’amour est donc l’acte le plus élevé que l’homme puisse accomplir, plus élevé encore que la Foi et l’Espérance, les deux autres vertus théologales, c’est-à-dire celles qui viennent de Dieu et qui nous rapprochent de Lui. L’Amour est la vertu qui m’unit parfaitement et qui me fait ressembler à Dieu, qui est Amour. Aussi, l’hymne à la charité de saint Paul représente l’un des plus beaux portraits du Christ, avec les béatitudes. Et il nous permet de prendre conscience de l’immense distance qui nous sépare de lui et de la sainteté. Est-ce que je prends toujours patience ? Est-ce que je rends toujours service ? Est-ce que je ne jalouse jamais ? Je pourrais poursuivre mes questions jusqu’au bout, ce qui constituerait un excellent examen de conscience, dont nous pourrions nous servir à chaque fois que nous nous préparons à nous confesser.

 

Deuxièmement, le prophète corrige le peuple qui se détourne de la Loi de Dieu. Tous les parents et les éducateurs savent qu’il ne suffit pas d’enseigner le bien aux enfants, il faut souvent les reprendre. C’est ce qu’a fait Jérémie vis-à-vis de son peuple qui s’était détourné du Seigneur pour rendre un culte à des idoles et pour pratiquer l’injustice. Ce faisant, il s’est attiré l’hostilité de beaucoup, qui ont voulu le faire taire. C’est pourquoi dès le début, au moment où le Seigneur l’appelle, Il lui dit : « tu diras contre eux tout ce que je t’ordonnerai. Ne tremble pas devant eux… Moi, je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze » (1° lect.). Jérémie, même s’il a parfois rechigné à suivre cet appel, a pourtant accepté d’y répondre, et y est resté fidèle jusqu’au bout[i].

Jésus, lui aussi, ne s’est pas contenté d’annoncer la Loi nouvelle, il a dû souvent reprendre ceux à qui elle était destinée. C’est ce qu’il fait à Nazareth avec ses propres concitoyens. Dimanche dernier, nous l’avons entendu leur annoncer la Bonne Nouvelle : le Seigneur m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés » (Lc 4,18). Mais Jésus n’est pas un démagogue, et la libération qu’il annonce passe par la conversion des cœurs. C’est pourquoi il ajoute : « Sûrement vous allez me citer le dicton : ‘Médecin, guéris-toi toi-même’, et me dire : ‘Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !’ ».  Les Nazaréens sont fiers de lui – « tous lui rendaient témoignage » (Lc 4,22)- mais ils veulent l’empêcher d’accomplir sa mission en le gardant pour eux, comme un joueur de foot que les supporters veulent empêcher d’aller dans un autre club, ou comme au Moyen-Age les habitants de certaines villes voulaient à tout prix garder les reliques d’un saint pour eux. Ils sont jaloux de Capharnaüm, cette ville 4 fois plus grosse que la leur, marquée par la mixité avec les païens (elle était un carrefour, lieu de passage près du lac de Galilée, avec une garnison romaine). Non seulement Jésus y a accompli ses premiers miracles, mais il y a même établi sa demeure (il habite chez Simon-Pierre). En faisant référence à Elie et Elisée, il veut élargir l’esprit de ses compatriotes, leur rappelant que ces deux prophètes avaient été envoyés non aux brebis perdues d’Israël, mais à celles des peuples païens voisins…

 

Troisièmement, le prophète montre l’exemple, jusqu’à offrir sa vie en réparation des péchés de son peuple. Là encore, tous les parents et les éducateurs savent qu’il ne suffit pas d’enseigner le bien aux enfants et de les reprendre, il faut aussi leur montrer le bon exemple. Et le plus bel exemple qu’on puisse donner, c’est de donner sa vie : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,13) C’est pourquoi la plupart des prophètes sont morts comme des martyrs (« témoins », en grec). Jésus l’a dit un jour aux scribes et aux pharisiens : « vous dites : “Si nous avions vécu à l’époque de nos pères, nous n’aurions pas été leurs complices pour verser le sang des prophètes. Ainsi, vous témoignez contre vous-mêmes : vous êtes bien les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes. » (Mt 23, 30-31) N’oublions pas que le troisième présent des mages, la myrrhe, était utilisée pour embaumer les morts et symbolisait les prophètes, comme l’or renvoyait aux rois et l’encens aux prêtres. Jérémie a été persécuté par ses contemporains, jeté en prison et au fond d’une citerne. Quant à Jésus, il a échappé de peu à la mort à Nazareth, alors qu’il s’adressait à ceux avec lesquels il avait grandi et qu’il ne faisait que commencer son ministère: « À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas. » L’heure de Jésus n’était pas encore arrivée mais, plus tard, il sera à nouveau mené hors de la ville, à Jérusalem cette fois, et il sera vraiment mis à mort.

 

Ainsi, frères et sœurs, un prophète enseigne la Loi de Dieu, reprend son peuple et lui montre l’exemple jusqu’à donner sa vie. Notre monde, saturé de paroles inutiles ou même destructrices, a besoin de prophètes pour entendre la Parole de Dieu. Ne soyons pas des « prophètes de malheur », car nous avons une bonne nouvelle à annoncer, mais pas non plus des « chiens muets », comme saint Grégoire appelait les pasteurs qui refusaient de dénoncer les torts de leurs brebis : « en blâmant la faute, on la découvre, alors que souvent elle est ignorée même de son auteur » écrit-il[ii]. A la fin de notre vie, nous serons jugés sur ce que nous aurons fait, en bien ou en mal, mais aussi sur ce que nous aurons omis de faire ou de dire… Cette semaine, la 13ème nuit des témoins a rappelé que 360 millions de chrétiens sont persécutés dans le monde, et que des milliers ont été assassinés parce qu’ils étaient disciples du Christ[iii]. Prenons exemple sur eux. A notre tour, accomplissons notre mission de prophètes, en nous souvenant de la dernière béatitude : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. 12 Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Mt 5,11‑12)

P. Arnaud

[i] « Je me disais : “Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom.” Mais la Parole du Seigneur était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir. » (Jr 20,9)

[ii] « Dans l’Écriture Sainte, on appelle parfois prophètes les maîtres qui, en signalant la présence de signes fugitifs, découvrent l’avenir. La parole divine leur reproche d’avoir des visions fausses, parce qu’en craignant de blâmer les fautes ils flattent vainement les coupables en leur promettant la sécurité, et ils ne révèlent pas l’indignité des pécheurs parce qu’ils gardent le silence au lieu de les blâmer. La clé de cette révélation, c’est le discours de réprimande, parce que, en blâmant la faute, on la découvre, alors que souvent elle est ignorée même de son auteur » (de la règle pastorale de Saint Grégoire le Grand).

[iii] Selon l’association évangélique « Portes ouvertes »,  5 898 chrétiens ont perdu la vie l’an passé en raison de leur foi, dont 4 650 au Nigeria et 620 au Pakistan. Cela signifie que 16 chrétiens sont assassinés chaque jour dans le monde.