Que tous soient un !

« Que tous soient un ». Frères et sœurs, ce désir d’unité si cher au Christ qu’il l’exprime à la fin de son testament spirituel, lors de la dernière Cène, est-ce aussi notre désir ? Depuis la chute dans le jardin d’Eden, prélude au meurtre d’Abel par Caïn, notre monde est déchiré par les divisions et les guerres : entre les nations, entre les communautés d’une même société, entre les membres d’une même famille, entre les conjoints d’un couple. C’est jusqu’à l’intérieur de nous-mêmes que nous sommes divisés, si souvent en proie à la culpabilité, à la peur… Alors, comment parvenir à l’unité ? Certains ont voulu créer une unité sans Dieu : c’est Babel (Gn 11), ce sont tous les totalitarismes, tels que le national-socialisme d’Hitler ou le communisme de Staline, ce sont tous les groupes dont le but est la recherche du profit ou du pouvoir, comme les mafias… leur ciment est fragile et, à un moment ou à un autre, il se délite. Pourquoi ? Parce que l’unité entre les hommes ne peut découler que de l’unité divine elle-même. C’est ce que dit Jésus : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. » Autrement dit, les hommes ne peuvent être unis entre eux que s’ils vivent unis à Dieu, qui est Lui-même communion entre trois Personnes… Des divisions, nous sommes en partie responsables, et en partie victimes : Satan, notre adversaire, est souvent appelé dans la Bible le diable (dia-bolos), celui qui divise. Seul l’Esprit Saint, l’Esprit de Vérité, peut nous protéger de lui et nous donner l’unité. Il nous a été donné, en particulier au jour de notre Confirmation, mais puisque les divisions demeurent non seulement dans l’humanité mais aussi dans l’Eglise, c’est que nous ne vivons pas assez sous son inspiration. Jésus a pourtant invité ses disciples, le jour de son Ascension vers le Ciel, à attendre – et donc à désirer – l’Esprit Saint. Alors que nous nous apprêtons à célébrer la Pentecôte, dimanche prochain, grande fête de l’Esprit qui est aussi grande fête de l’unité, et en ce dimanche mondial de la communication, réveillons notre désir de l’Esprit en méditant sur la façon par laquelle il nous apprend à communiquer pour nous unir au Seigneur et les uns aux autres : il nous enseigne à écouter d’abord, et à parler pour témoigner ensuite.

 

D’abord, l’Esprit nous enseigne à écouter. Nous avons une bouche mais deux oreilles, ce qui implique une hiérarchie ! Pour commencer, nous devons écouter le Seigneur Lui-même. Le premier  commandement, que nos frères Juifs redisent chaque matin, commence ainsi : « Ecoute Israël ». Mais notre écoute est rendue difficile par les « bruits » extérieurs et intérieurs (incluant nos soucis et préoccupations) et par notre orgueil qui nous pousse à croire que nous possédons déjà la Vérité. En réalité, nul ne la possède, car elle est une Personne, le Christ, qui nous appelle à le suivre humblement : « je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6).

Ecouter le Seigneur implique d’écouter les hommes. En premier lieu, les autres chrétiens, qu’ils soient catholiques ou d’autres confessions. Chacun d’entre eux a reçu des lumières particulières par l’Esprit : « celui qui est saint vous a consacrés par l’onction, et ainsi vous avez tous la connaissance. » (1 Jn 2,20) Nos différences, loin d’être des problèmes, peuvent devenir des richesses. C’est le sens même de la synodalité à laquelle les évêques du monde entier ont consacré un synode, et c’est aussi ce qui a poussé les évêques d’Ile de France à proposer un concile provincial qui se tiendra pendant un an à partir de la Pentecôte 2026. L’objectif : réfléchir à l’accompagnement des catéchumènes et des néophytes, dans un contexte de hausse sans précédent du nombre de baptêmes.

Mais nous devons écouter aussi les non-chrétiens, chez qui Dieu a fait germer des « semences de vérité » (semina verbi). L’Esprit Saint agit dans le cœur de tout homme, il « offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Gaudium et Spes 22).

 

Cependant, reconnaître les semences de vérité que les autres possèdent n’empêche pas l’urgence de la mission, car c’est dans le Christ seulement que ces semences peuvent parvenir à maturité. Dans l’encyclique Redemptoris missio parue en 1990, Jean-Paul II s’élevait fortement contre une « mentalité marquée par l’indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les chrétiens […] qui porte à considérer que “toutes les religions se valent” » (n° 36). N’oublions pas que Jésus prie son Père avec cet objectif missionnaire : « Que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ». La recherche commune de la Vérité implique donc aussi le témoignage. En grec, le mot « témoin » se dit « martyr ». Les lectures de ce jour nous donnent de contempler deux martyrs. Le premier est Jésus lui-même. Dans l’Apocalypse de saint Jean, il se nomme « le témoin fidèle » (Ap 1,5 ; 3,14). Dans l’évangile du même Jean, Jésus dit à Pilate : « Je ne suis né, et je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » (Jn 18,37) Et celui qui écoute la voix du Christ pour en témoigner peut être appelé à aller jusqu’à l’effusion de sang, source du plus grand bonheur : « Heureux ceux qui lavent leurs vêtements pour avoir droit aux fruits de l’arbre de vie » (2° lect.)

La première lecture nous rappelle le premier d’entre eux après le Christ : Etienne. Au lieu de se taire face à ses accusateurs, il a témoigné de sa Foi jusqu’au bout. Alors que certains dans l’histoire, même parmi les chrétiens, ont usé de la violence et même mis à mort au nom de la Vérité, lui s’est laissé mettre à mort. Mais le plus beau est la fin : comme le Christ son Maître sur la Croix, il a été capable de dire : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » (1° lect.) Voilà qui vaut tous les discours du monde… ou plutôt, voilà qui donne un poids infini au discours qu’il avait donné juste avant. Qui sait quelle influence cet évènement a-t-il eu sur la conversion du futur saint Paul ?

Nous aussi, nous sommes appelés à témoigner de la Vérité. Il n’y pas que des paroles qui peuvent tuer, mais aussi certains silences. Peu de temps après la Pentecôte, Pierre répond aux autorités religieuses qui ont interdit aux apôtres de parler au peuple : « il nous est impossible de nous taire sur ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4,20) et ils ont tous témoigné jusqu’au martyr[i].

 

En conclusion, rappelons ce qui fut peut-être l’enseignement central du Concile Vatican II : « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium 1) Cette unité se manifeste et se réalise particulièrement dans le sacrement de l’Eucharistie. Elle nous permet d’écouter la Parole de Dieu, et nous donne la force de témoigner de notre Foi. Mais surtout elle renforce la communion non seulement avec le Christ, qui se donne à nous en nourriture, mais aussi entre nous. Notre société française, marquée par le relativisme, rêve d’unité autour de notre fameuse devise : « liberté, égalité, fraternité ». Mais au nom de ces grandes valeurs, certaines lois injustes ont été votées, notamment celles sur la fin de vie qui vont exclure les plus fragiles de notre société. Cette semaine, prions chaque jour l’Esprit Saint, et demandons-lui de nous enseigner à mieux écouter, et à mieux témoigner de notre Foi. C’est ainsi que se renforcera notre unité dans la Sainte Trinité. Viens, Esprit-Saint, et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière !

P. Arnaud

[i] En 1938, les hommes politiques envoyés par la France et l’Angleterre n’eurent pas le courage de dénoncer les agissements d’Hitler, cédant aux nazis la Tchécoslovaquie sans presque rien demander en échange sinon de vagues promesses de paix. Winston Churchill eut ensuite cette parole célèbre : « Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre ».