Préparons le chemin du Seigneur !

Frères et sœurs, vivons-nous dans l’Espérance ? En ce temps troublés à la fois pour notre pays et pour le monde, nous pourrions être tentés de baisser la tête, accablés par le désespoir. Mais le Seigneur nous invite au contraire à nous redresser et relever la tête, car notre rédemption approche (Lc 21,28). Les signes apocalyptiques que Jésus a énumérés, ils ont toujours existé. Déjà avant sa venue, Israël a traversé des épreuves très lourdes, mais le Seigneur ne l’a jamais abandonné. Au temps de l’exil en particulier, alors que le peuple est loin de Jérusalem, sans roi et sans Temple, les prophètes Isaïe puis Baruch annoncent l’intervention prochaine du Seigneur : « Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées » (1° lect .) et c’est bien ce qui est arrivé avec le roi perse Cyrus. Des siècles plus tard, un troisième prophète reprend la même promesse : Jean Baptiste, parce que Dieu est intervenu dans sa vie (la parole de Dieu lui fut adressée dans le désert[i]), appelle à l’Espérance les Israélites qui souffrent de la domination romaine : « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits … et tout être vivant verra le salut de Dieu. » La promesse de Dieu ne concerne pas seulement Israël, mais tous les hommes et même toutes les créatures car tous sont confrontés aux difficultés de la vie. L’évocation de la date (l’an quinze du règne de l’empereur Tibère) et des autres autorités de l’époque (Ponce Pilate, Hérode…) signifie que Dieu intervient dans notre histoire. Il l’a fait il y a 2000 ans, II le refera à la fin des temps, et Il le fait chaque jour. Mais pour que nous puissions accueillir le salut qu’Il vient à chaque fois nous offrir, nous devons nous convertir. C’est pourquoi Jean proclamait « un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ». Le baptême de Jean ne produit pas la rencontre avec le Seigneur et le salut, mais il y prépare. Nous-mêmes ne devons pas recevoir le baptême de Jean, mais nous devons sans cesse reconnaître nos péchés afin de rencontrer celui qui vient à nous dans l’Esprit, le Christ sauveur. Que produit cette rencontre ? Cherchons à interpréter les paroles des prophètes sur un plan spirituel, comme trois invitations à l’Espérance.

 

« Tout ravin sera comblé ». Les ravins, ce sont toutes nos misères, pas seulement matérielles, mais aussi physiques, psychologiques et spirituelles. Elles peuvent nous pousser à désespérer. Selon saint Thomas d’Aquin, c’est le plus grave de tous les péchés. En effet, d’une part, le désespoir ne s’oppose pas à une vertu seulement humaine, mais théologale, comme l’infidélité s’oppose à la foi et la haine s’oppose à l’amour. D’autre part, il « est plus périlleux, car c’est par l’espérance que nous nous détournons du mal et que nous commençons à rechercher le bien. C’est pourquoi, lorsque l’espérance a disparu, les hommes, sans aucun frein, se laissent aller aux vices et abandonnent tout effort vertueux […] Et Saint Isidore déclare : ‘’Commettre un crime c’est la mort de l’âme ; mais désespérer, c’est descendre en enfer’’ » (II-II, q.20, art.3).

Un exemple très parlant de désespoir est celui de Judas. Il n’a pas commis un péché plus grave que Pierre. Le premier a trahi, le second a renié. Mais alors que Pierre a cru en la miséricorde de Dieu et a su accueillir son pardon, Judas a mis fin à son existence. Pierre s’est relevé de sa chute, alors que Judas est resté à terre. Sainte Thérèse d’Avila écrivait très justement : « La sainteté, ce n’est pas de ne jamais tomber, mais de toujours se relever ». Plus on est saint, plus on est humble, et plus vite on se relève, car on ne s’appuie pas d’abord sur ses propres forces, mais sur celles du Seigneur.

 

« Toute montagne et toute colline seront abaissées ». Les montagnes et les collines symbolisent notre orgueil. A l’autre extrême du désespoir, il tue en nous l’Espérance. Il est de deux sortes, qui se réfèrent toutes deux à un objectif qui nous dépasse : la première nous fait croire que nous pouvons atteindre cet objectif par nos propres forces seulement ; la seconde nous fait croire que Dieu va nous donner d’atteindre l’objectif parce que nous le méritons. Dans les deux cas, cette présomption est liée à un manque d’humilité et de crainte de Dieu.

Dans les évangiles, ils sont illustrés par les Pharisiens, qui croient qu’ils se sauvent eux-mêmes par leur observation minutieuse de tous les commandements de la Loi. Dans la parabole du Pharisien et du Publicain, Jésus déclare que c’est le second qui repart justifié du Temple, parce qu’il a prié avec humilité, contrairement au premier.

 

« Les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ». Les passages tortueux et les routes déformées représentent nos vices, qui tuent eux aussi l’Espérance. Les sept péchés capitaux sont en fait des vices, c’est-à-dire des habitudes mauvaises dont découlent les péchés (le mot capital vient de caput, tête en latin). En plus de l’orgueil qu’on vient d’évoquer, on trouve l’acédie (ou paresse spirituelle), la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l’envie. Marie Madeleine a été libérée de sept démons (Lc 8,2), qui représentent sans doute ces sept péchés capitaux. Ils vont souvent ensemble, car ils se développent dès lors que l’on s’éloigne de Dieu, comme de mauvaises herbes lorsqu’on s’éloigne de la lumière.

Nos contemporains, bien que beaucoup aient rejeté l’Eglise, ont soif de justice. Les multiples « affaires » qui éclatent le manifestent. Il y a peu, on préférait ne pas voir ce qui était immoral, obéissant à la loi de l’omerta, et la plupart des victimes n’osaient même pas s’exprimer. Aujourd’hui, grâce au courage des « prophètes » qui ont osé crier contre les injustices, au prix parfois non de leur tête comme Jean Baptiste, mais de leur réputation ou de leur carrière, on fait la vérité sur le mal. Continuons dans ce sens, en dénonçant aussi certaines formes de mal « oubliées » par la société (comme l’avortement) mais sans devenir des chasseurs de sorcières.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous invite à plus d’Espérance. Aujourd’hui, notre diocèse et le monde entier sont dans la joie après la réouverture de Notre Dame, plus belle encore qu’avant l’incendie qui a failli la détruire totalement. Alors, même si « le monde est en feu », comme le disait déjà sainte Thérèse d’Avila il y a 5 siècles, nous croyons que les hommes peuvent rebâtir un monde nouveau, plus beau et plus lumineux, comme l’ont fait les 2000 artisans et ouvriers de notre cathédrale. Pour cela, ils ont su placer le bien commun au-dessus de leur intérêt personnel, travaillant sans relâche et en communion les uns avec les autres pour atteindre l’objectif. Tous témoignent de la joie qu’ils ont goûtée à le faire. Nous aussi, mettons le bien commun au-dessus du notre, et convertissons-nous en préparant dans nos cœurs la route du Seigneur. Il est venu, il reviendra, il vient sans cesse, mais sommes-nous prêts à l’accueillir ? D’ici Noël, préparons le chemin du Seigneur en sachant trouver des lieux et des moments de désert (c’est-à-dire où nous pourrons établir le silence en nous-mêmes, même si c’est dans le métro) pour être en cœur à cœur avec lui, et en recevant le sacrement de réconciliation. C’est ainsi que Dieu comblera nos misères, abaissera notre orgueil et rendra droits nos chemins, et que notre cœur deviendra un temple aussi resplendissant que Notre Dame, prêt à accueillir non seulement notre Seigneur mais aussi tous ceux que nous rencontrerons sur notre chemin !

P. Arnaud

[i] Notons le contraste entre Jean, fils de Zacharie, un simple prêtre, et tous les grands de ce monde qui ont été cités juste avant.