Donne-moi à boire

Frères et sœurs, sommes-nous de bons missionnaires ? Dans notre monde, beaucoup d’hommes et de femmes ont soif, comme les Hébreux dans le désert (1° lect.). Aujourd’hui, près de la moitié de l’humanité vit dans des régions où l’eau manque au moins un mois par an. Et la situation devrait s’aggraver, selon les scientifiques… L’eau de la création manque, mais que dire de celle de l’Esprit ? Beaucoup d‘êtres humains ont soif de Dieu, parfois sans le savoir. C’est notre rôle, en tant que baptisés, de les aider à étancher leur soif Comment ? Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus nous répond. Dans son dialogue avec  la Samaritaine, il nous propose un « rite » missionnaire, qui comprend les trois grandes étapes de toute mission. D’abord, entrer en Relation ; ensuite, aider l’autre à s’Interroger sur son existence ; enfin, Témoigner de notre Foi… Tout cela sous la conduite de l’Esprit Saint !

 

Pour commencer toute mission, il faut entrer en Relation. Saint Jean écrit dans sa première lettre : Dieu nous a aimés le premier (Jn 4,19). C’est Dieu qui a fait le premier pas vers l’homme, non l’inverse. Alors qu’Adam et Eve avaient péché et se cachaient, honteux de leur nudité, Il est venu jusqu’à eux pour les couvrir de peaux de bête et pour leur promettre la venue d’un Sauveur (Gn 3). Puis, lorsque les Hébreux étaient esclaves de Pharaon, c’est lui qui prit l’initiative de leur envoyer Moïse. Plus tard encore, le Fils de Dieu s’incarna sans que nous ayons mérité une telle grâce… Comme Saint Paul l’écrit aux Romains (2° lect.): « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. »

Ici, Jésus entre en relation avec une personne avec laquelle il aurait été politiquement correct de n’avoir aucune relation. D’abord, c’est une femme, et un homme n’aborde pas une femme aussi simplement dans la société de l’époque. Qui plus est, c’est une Samaritaine, et les Juifs – pour des raisons à la fois historiques et religieuses – ne veulent rien avoir en commun avec son peuple. Pourtant, Jésus aborde cette femme, et loin de lui parler de haut, il lui demande humblement un service : « Donne-moi à boire. » Demander un service, c’est reconnaître qu’on a besoin de l’autre, c’est donc reconnaître sa dignité. Tout au long de son ministère, Jésus entrera en relation avec les pécheurs, ce que les pharisiens lui reprocheront sans cesse (cf l’exemple de Zachée, par exemple).

 

La relation une fois établie, elle pourrait demeurer superficielle. Mais le Seigneur nous invite à aller plus loin, et à pousser l’autre à s’Interroger sur le sens de son existence. Pour cela, il faut d’abord qu’il prenne conscience de la vanité de sa vie.  « Vanité des vanités, dit Qohélet ; vanité des vanités, tout est vanité. » (Qo 1,2) Cette parole est celle d’un sage, Qohélet appelé aussi l’Ecclésiaste, qui a su observer le monde en profondeur. Si ce livre a été intégré par les Juifs dans le canon des Ecritures, c’est pour mettre en relief que sans Dieu, la vie n’a pas de sens. Notre désir est infini, mais se heurte aux limites de notre condition humaine.

Jésus cherche à ce que la Samaritaine prenne conscience de son insatisfaction. Il parle d’abord de manière symbolique : « Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ». Ensuite, il parle plus clairement : « Va, appelle ton mari, et reviens. » La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, car tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari … » Jésus ne juge pas cette femme, il lui manifeste seulement qu’il la connaît. Elle se sent reconnue et aimée. C’est pourquoi elle n’aura pas peur de dire à ses compatriotes : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ». La Samaritaine ressemble étonnamment à tant de personnes de notre société, ces hommes et ces femmes qui se séparent si facilement de leurs conjoints parce qu’ils éprouvent vite de la déception face à leurs imperfections. Ils sont en recherche d’une perfection qu’ils ne pourront trouver que dans le Christ lui-même.  C’est pourquoi Jésus a dit auparavant : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » Traditionnellement, l’eau vive est un symbole de l’Esprit Saint. Ce que l’homme doit rechercher, ce ne sont pas les biens matériels ou les biens affectifs passagers, c’est l’eau vive de l’Esprit que seul le Christ est capable de lui donner.

Ce qu’il enseigne à la Samaritaine, Jésus l’enseigne également à ses disciples. Alors qu’ils s’étonnent qu’il ne mange pas, se demandant si quelqu’un lui aurait apporté à manger, il leur déclare : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre ». Il les appelle ainsi à passer d’une faim corporelle à une faim spirituelle, celle de faire la volonté de Dieu. C’est ce que nous demandons dans chaque Notre Père : « Que ta volonté soit faite », demandant seulement ensuite : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ».

 

Il ne suffit pas de susciter le désir de Dieu, il faut encore l’assouvir. C’est l’étape du Témoignage de notre Foi. Autrement, on en reste à l’action des sectes. Dans le désert, Dieu a étanché la soif de son peuple. Le rocher sur lequel Moïse a frappé avec son bâton, et dont de l’eau a jailli (1° lect.), c’est le symbole du Christ (cf 1Co 10,4) qui a été transpercé sur la Croix et dont de l’eau et du sang ont jailli du côté, préfigurations du baptême et de l’eucharistie.

Jésus ne s’est pas contenté de susciter le désir de Dieu chez la Samaritaine. Il l’a ensuite assouvi en l’enseignant. D’abord, il parle clairement, sans tomber dans un syncrétisme politiquement correct : « Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous, celui que nous connaissons, car le salut vient des Juifs ». Ensuite, il manifeste que cette vérité n’est pas synonyme d’étroitesse d’esprit et d’exclusion, au contraire : « l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père ». Jésus ne s’est pas contenté de ces quelques paroles ; ensuite, il a poursuivi sa catéchèse en restant deux jours entiers auprès des Samaritains que la femme avait attirés jusqu’à lui. Celle qu’il avait commencé à évangéliser est devenue très vite elle-même missionnaire.

 

Si le Christ est parvenu à faire de la Samaritaine une adoratrice en esprit et en vérité, c’est parce qu’il a parcouru ces 3 étapes non seulement avec elle, mais aussi avec l’eau vive de l’Esprit qu’il lui promettait. En entendant cet évangile, nous pouvons nous situer à une double place. D’abord, à celle de la Samaritaine. Nous aussi, nous sommes en recherche, nous éprouvons des désirs d’infini, que seul Dieu, avec le Fils et l’Esprit Saint, peut assouvir. Mais nous pouvons aussi nous mettre dans la peau de Jésus, et avoir la même soif que la sienne. Sur la croix, il a dit : « J’ai soif » (Jn 19,28) L’homme a soif de Dieu, mais Dieu a aussi soif de l’homme. Il a soif de son amour. Alors, en tant que baptisés, c’est à nous de désaltérer le Christ. Voilà pourquoi nous devons être missionnaires. Cette semaine, sachons entrer en relation avec des non- (ou mal-) croyants de notre entourage. Poussons-les avec délicatesse à s’interroger sur le sens de leurs vies. Témoignons de notre Foi par nos vies et par nos paroles. Alors, nous sentirons l’eau vive du Saint Esprit couler en nous comme d’une source jaillissante pour la vie éternelle, et nous adorerons Dieu en esprit en en vérité. AMEN.