Vous êtes ressuscités avec le Christ

Frères et sœurs, Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité, comme nous l’avons célébré cette nuit…. mais qu’est-ce que ça change pour nous ? Certes, cet évènement nous permet d’abord d’espérer ressusciter nous-mêmes après notre mort, et nous délivre ainsi de la peur de mourir. S’il n’y avait que cette espérance, ce serait déjà beaucoup, mais on pourrait donner raison à Karl Marx qui disait que la religion est l’opium du peuple. Mais il y a plus : la résurrection du Christ nous permet de ressusciter dès ici-bas ! C’est ce que nous dit saint Paul : « vous êtes ressuscités avec le Christ » (2° lect.) Nous ne le sommes pas de manière plénière, puisque nous vivons toujours dans un corps de chair qui nous fait parfois souffrir, mais de façon anticipée à proportion de notre union au Christ[i]. Comment nous unir au Ressuscité ? La résurrection du Christ nous sollicite à 4 niveaux de nos êtres : nous sommes invités à croire, à comprendre, à vivre, et à témoigner.

 

Pour commencer, nous devons croire à la résurrection. Les évangiles témoignent de la difficulté pour l’homme d’accueillir cette Bonne Nouvelle[ii]. Même les plus proches disciples, à commencer par Pierre, ont éprouvé beaucoup de difficultés à le faire. La résurrection, que ce soit celle du Christ ou la nôtre, ne peut se démontrer… Si Dieu ne veut nous donner aucune preuve scientifique de la résurrection, ce qui réduirait à néant notre liberté, Il nous offre des signes. Parmi les disciples, alors que beaucoup refusèrent de croire comme nous l’avons souligné, le disciple que Jésus aimait, nous révèle saint Jean, « vit et crut » (év.). Qu’a-t-il vu ? Pas grand-chose : un tombeau vide, mais aussi « les linges, gisant à terre, ainsi que le suaire qui avait recouvert sa tête ; non pas avec les linges, mais roulé à part dans un endroit. » Ce simple signe suffit pour lui : si Jésus avait été enlevé, les linges seraient tous ensemble, les ravisseurs n’auraient pas pris la peine de rouler le suaire à part. Lazare était sorti de son tombeau encore enveloppé de bandelettes, mais Jésus en est ressorti libre. Qu’est-ce qui a permis à ce disciple de croire,  ce que les autres ne parvenaient pas à faire ? C’est l’amour. Ce n’est pas un hasard si Jean l’a désigné comme « le disciple que Jésus aimait ». Cela signifie qu’il existait entre lui et son Maître une grande intimité, qu’atteste la scène du dernier repas où il était assis à son côté, et où il s’était penché sur sa poitrine pour lui demander qui allait le trahir (cf Jn 13,25). Seul l’amour permet de franchir les barrières que la raison est impuissante à ôter.

 

Deuxièmement, nous sommes invités à comprendre. Vous êtes peut-être surpris que j’en parle en second, dans notre mentalité cartésienne, mais saint Anselme avait bien dit : « il faut croire pour comprendre ». A la fin de l’évangile que nous venons d’entendre, saint Jean écrit : « les disciples n’avaient pas compris que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Pourquoi le fallait-il ? Parce que l’homme était asservi aux forces de la mort, et que seul Dieu pouvait l’en délivrer. Même en cherchant bien, on ne trouvera aucune annonce explicite de la résurrection du Messie. Mais c’est toute l’Ecriture, relue à la lumière de cette résurrection, comme Jésus l’a fait avec les disciples d’Emmaüs, qui nous permet de découvrir que Dieu est plus fort que la mort[iii].

 

Si nous croyons à la résurrection et si nous en avons compris le sens, sommes-nous parvenus là où le Seigneur veut nous mener ? Non, il reste encore deux étapes à franchir : d’abord, il nous faut en vivre. Saint Paul écrit aux Colossiens : « Vous êtes ressuscités avec le Christ. Recherchez les réalités d’en haut […] En effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. » (2° lect.) Qu’est-ce que cela signifie ? Non pas que nous devrions mépriser les réalités de la terre, mais que nous devons les transformer, conscients que le Seigneur nous prépare « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Ap 21,1). Cela signifie aussi que nous devons mourir au péché, et vivre à la manière du Christ. Comme Paul le précise dans les versets suivants, il s’agit de « faire mourir en nous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie » (Col 3,5) et de « revêtir l’homme nouveau » (le vêtement blanc des nouveaux baptisés en est le signe) et ainsi de se revêtir «de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. » (Col 3,10.12) Cette transformation n’est pas visible de tous, car notre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Comme le disaient St François de Sales et St Vincent de Paul: « Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit. »

 

En plus de vivre comme des ressuscités, le Seigneur nous invite à une ultime étape : le témoignage. La résurrection est la Bonne Nouvelle, l’évangile par excellence, que nous ne pouvons pas garder pour nous seuls. Tant d’hommes et de femmes autour de nous sont comme des brebis égarées ! Il nous faut imiter les Apôtres et Pierre, qui dit au centurion Corneille : « Il nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l’a choisi comme Juge des vivants et des morts. » (1° lect.) Certes, le fait de vivre comme des ressuscités est déjà un beau témoignage. Nietzsche dit un jour, en voyant des chrétiens sortir d’une église : « je croirai quand je les verrai avec des gueules de ressuscités ». Mais dans certaines situations, il nous faut y ajouter la parole car, comme l’écrit saint Paul aux Romains : « la foi naît de ce qu’on entend ; et ce qu’on entend, c’est l’annonce de la parole du Christ. » (Rm 10,17) Alors, même si nous ne sommes pas de grands théologiens, même si nous ne pourrons pas répondre à toutes les questions, n’ayons pas peur d’aller vers « les périphéries », comme le Pape François nous y invite, pour proclamer, « à temps et à contretemps » (2Tm 4,2), que le Fils de Dieu est mort pour nos péchés et ressuscité pour nous donner la vie !

 

Pour conclure, frères et sœurs, rendons grâce à Dieu qui nous a appelle à comprendre, à croire, à vivre et à témoigner de la résurrection du Christ. Un jour, nous aussi, nous ressusciterons et nous entrerons pleinement dans la Vie. En attendant, nous devons combattre pour vaincre avec le Christ. La victoire de la Vie sur la mort et de l’Amour sur le péché ne s’acquière pas d’un coup de baguette magique, elle exige des efforts et du temps. Du temps pour faire mourir en nous le vieil homme et faire advenir l’homme nouveau, c’est pourquoi pendant 40 jours, nous avons lutté avec le Christ pour nous convertir à travers la prière, le partage et les privations. Du temps aussi pour nous réjouir avec le Christ de sa victoire, que nous allons célébrer pendant les 8 jours de l’octave et les 50 jours du temps pascal. Paradoxalement, il nous est peut-être plus facile de lutter que de célébrer, du fait que notre vie sur la terre est parsemée d’épreuves multiples. Le temps pascal qui commence aujourd’hui nous demande d’anticiper la vie divine que nous connaîtrons après notre résurrection. Comme le dit saint Augustin dans un de ses sermons les plus célèbres : « Chantons dès ici-bas l’alléluia au milieu de nos soucis, afin de pouvoir un jour le chanter là-haut dans la paix… Chantons et marchons ». Ressuscitons avec le Christ, et marchons en chantant avec lui vers le Royaume. Amen.

 

P. Arnaud

[i] La petite Thérèse alla jusqu’à dire : « Je ne vois pas bien ce que j’aurais de plus après la mort que je n’aie déjà en cette vie. Je verrai le bon Dieu, c’est vrai ! mais pour être avec lui, j’y suis déjà tout à fait sur cette terre » (CJ 15.5.7).

[ii] Saint Marc révèle que les femmes qui étaient venues au tombeau pour embaumer le corps, lorsqu’elles eurent reçu l’annonce de la résurrection et la mission de la transmettre aux disciples et à Pierre, « s’enfuirent et ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » (Mc 16,8). Et les apôtres, lorsque Marie-Madeleine revint du tombeau avec ses compagnes, « l’entendant dire qu’il vivait et qu’elle l’avait vu, ne la crurent pas » (Mc 16,11) estimant que c’était du « radotage » (Lc 24,11). Pierre lui-même, le chef des apôtres, après avoir couru au tombeau et vu les linges, « s’en alla chez lui, tout surpris de ce qui était arrivé » (Lc 24,12), sans pouvoir croire encore. Alors, comment être étonné lorsqu’on lit dans les Actes des Apôtres à propos des Athéniens, qui avaient écouté Paul à l’aréopage avec attention jusque-là : en entendant les mots de « résurrection des morts, les uns se moquaient, les autres disaient : “ Nous t’entendrons là-dessus une autre fois” » (Ac 17,32) ? Comment être étonné que parmi les catholiques eux-mêmes, seule une minorité croit à la résurrection ?

[iii] La traversée de la mer rouge, que nous avons entendue cette nuit, en est une illustration parmi beaucoup d’autres : alors que le peuple était promis à la mort, avec la mer devant lui et l’armée de Pharaon derrière lui, le Seigneur lui a tracé un chemin de vie, qui ressemble à une résurrection.