Vivons dans la Lumière de l’Amour
Pourquoi allons-nous vénérer la croix, frères et sœurs ? Pourquoi en avons-nous certainement installé dans nos maisons et nos appartements, aux côtés des rameaux bénis que nous avons ramené de la messe dimanche dernier ? Pourquoi cette vénération pour cet instrument de supplice, le plus cruel que les Romains employaient, eux qui n’étaient pas précisément des enfants de cœur ? Les premiers Chrétiens, eux, ne représentaient pas le Christ en croix, ils le représentaient plutôt comme un jeune berger ou comme un poisson, comme on peut le voir dans les catacombes. Mais à partir du IV° siècle, la croix est devenue le symbole même de notre Foi. Pourquoi ? Parce qu’elle symbolise une double victoire, celle de l’Amour sur la haine, et celle de la Vie sur la mort. Le Fils de Dieu nous a témoigné son Amour en nous donnant sa vie, et le Père lui a témoigné son Amour en le ressuscitant des morts. Cette double victoire, nous pouvons la résumer en une seule : la victoire de la Lumière sur les ténèbres. Une victoire est d’autant plus belle et précieuse qu’elle est acquise sur un adversaire puissant. Aussi, pour commencer, nous allons voir comment les forces des ténèbres, au début, ont été fortes et ont semblé l’emporter. Puis, nous verrons comment les forces de la lumière ont préparé discrètement leur victoire, que nous célébrerons demain.
« L’obscurité se fit dans tout le pays jusqu’à trois heures, car le soleil s’était caché. » L’obscurité qui enveloppe la Palestine, au moment où le Christ est en agonie, n’est pas seulement atmosphérique. Elle est aussi spirituelle. Oui, vraiment, ce moment de l’histoire humaine est sombre. Le Fils de Dieu a d’abord sué « comme des gouttes de sang » à Gethsémani, tant son angoisse était grande devant sa souffrance et sa mort à venir. Il est maintenant en train de mourir, crucifié comme un malfaiteur. Comment les foules, qui l’ont acclamé avec leurs rameaux comme le Messie lors de son arrivée à Jérusalem, ont-elles pu finir par vociférer « crucifie-le, crucifie-le » quelques jours plus tard ? Comment Judas, qui a été choisi par Jésus et a été l’un de ses compagnons de vie pendant trois ans, a-t-il pu le trahir ? Comment Pierre, qui a été désigné par Jésus comme le chef des disciples, a-t-il pu le renier trois fois ? Comment Pilate et Hérode, représentants de la justice, ont-ils pu l’abandonner à l’injustice ? Comment les chefs du peuple, qui devaient guider le peuple vers le Messie, ont-ils pu être aussi aveugles ? Comment les soldats, qui devaient maintenir l’ordre, ont-ils pu maltraiter et railler aussi cruellement un homme sans défense ? Autant de questions qui restent sans réponses… ou plutôt, que l’on ne peut expliquer que par le mystère du mal. Après avoir été vaincu par Jésus dans le désert, au début de son ministère, le démon s’était éloigné de lui « jusqu’au moment fixé » (Lc 4,13). Ce moment, nous y sommes parvenus, c’est celui de la Passion. Le démon est entré en Judas, et il agit à travers tous les personnages cités, avec leur complicité. Au désert, le diable avait incité Jésus à échapper à la souffrance et à réaliser des prodiges. Ici encore, il l’incite dans le même sens. C’est d’abord Pierre lui-même qui se sert de son épée pour le défendre. C’est ensuite Hérode qui espère le voir réaliser un miracle. Puis ce sont les chefs des prêtres, les soldats, et même l’un des autres condamnés, qui se moquent de lui en le défiant de se sauver lui-même au moment où il est sur la croix… Tous coopèrent par leur péché à l’obscurcissement de la terre.
Dans cette obscurité, pourtant, la lumière commence déjà à poindre. Elle jaillit d’abord du cœur du Christ. Face à la haine et à l’injustice, comment réagit-il ? D’abord, après le troisième reniement de Pierre, il avait posé son regard sur lui, on peut imaginer avec quel amour et quelle tendresse. Pierre avait alors pleuré amèrement, première étape de sa conversion. Ensuite, les 4 évangélistes nous ont laissé sept paroles de Jésus en croix. Les 3 premières témoignent de l’amour infini du Christ à notre égard : un amour qui pardonne : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34); un amour qui accueille : « En vérité, je te le dis aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43) dit Jésus au malfaiteur repenti crucifié à côté de lui; un amour qui donne : « Femme, voici ton fils » dit Jésus à sa mère, qui devient ainsi notre mère, et quel plus beau cadeau aurait-il pu nous faire ? 3 autres paroles témoignent de l’amour infini de Jésus à l’égard de son Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15,34 & Mt 27,46), c’est la reprise d’un psaume qui exprime une grande souffrance mais aussi une confiance inaltérable, dont témoignent les 2 paroles suivantes : « Tout est achevé » et « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46). Une 7ème parole enfin, que je cite en dernier même si Jésus la prononce avant son dernier cri, exprime l’amour à la fois de Dieu et des hommes, l’amour qui désire être aimé : « J’ai soif ». Elle manifeste à la fois la souffrance physique de Jésus (la crucifixion entraînait l’asphyxie progressive) mais aussi sa souffrance spirituelle. C’est cette parole que Mère Teresa entendit au plus profond de son cœur et qui la poussa à partir dans les rues de Calcutta pour soulager les pauvres en qui elle voyait Jésus lui-même.
Face à une telle lumière, celle de l’Amour plus fort que la haine, plusieurs se laissent illuminer à leur tour. D’abord, l’un des condamnés se convertit, le bon larron que je viens d’évoquer : saisi par la « crainte de Dieu », il reconnaît humblement qu’il a ce qu’il mérite ; surtout, il espère dans la miséricorde de Dieu, plus grande que ses fautes : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. » Face à lui, un autre homme se convertit, le centurion romain : « A la vue de ce qui s’était passé, il rendait gloire à Dieu : “Sûrement, cet homme, c’était un juste.” » Les foules se laissent elles-aussi à nouveau retourner : « Tous les gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine. »
Un autre rayon de lumière vient de Joseph d’Arimathie. Membre du Conseil des chefs du peuple, « il n’avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes », et il a le courage d’aller trouver Pilate et de demander le corps de Jésus, avant de le descendre de la croix, de l’envelopper dans un linceul et de le mettre dans un sépulcre taillé dans le roc, où personne encore n’avait été déposé. Enfin, les femmes qui accompagnaient Jésus depuis la Galilée ont elles-aussi eu la force de suivre Joseph jusqu’au tombeau, avec l’intention d’y retourner ensuite pour l’embaumer comme il le méritait. Ainsi, alors que l’obscurité enveloppe le pays, des rayons de lumière annoncent déjà l’aurore de la résurrection.
Ainsi, le récit de la Passion est l’histoire de la lutte entre les ténèbres de la haine et de la mort, et la lumière de l’amour et de la vie. Dans l’arène, il y a 3 types de combattants. Il y a le Christ, qui est la lumière ou encore le soleil du monde. Il y a Satan, celui qui s’appelait d’abord Lucifer, « le porteur de lumière », et qui est devenu comme un trou noir, qui absorbe toute lumière. Il y a enfin les hommes, qui peuvent choisir de combattre sous la bannière du Christ, ou sous celle de l’adversaire. Parmi eux, il y a la Vierge Marie, qui est souvent représentée au-dessus de la lune parce que, comme elle, elle reflète si bien la lumière du soleil qu’elle éclaire ceux qui marchent dans la nuit… Et nous-mêmes, frères et sœurs, pour qui combattons-nous ? Sous la bannière du Christ ? Vivons-nous dans la pleine lumière de sa résurrection ? Ne nous arrive-t-il pas de préférer les ténèbres de notre égoïsme et de nos penchants mauvais ? A chaque fois que nous péchons, nous crucifions à nouveau le Christ et nous rendons le monde plus sombre. Mais l’amour de Dieu pour nous est infini ; il sait que, parfois, nous ne savons pas ce que nous faisons. Alors, convertissons-nous pleinement. Pleurons notre péché comme saint Pierre, reconnaissons notre injustice comme le bon larron, émerveillons-nous devant le Christ comme le centurion, frappons-nous la poitrine comme les foules, ayons du courage comme Joseph d’Arimathie et le cœur plein d’amour comme les saintes femmes. Les 40 jours du Carême ont dû nous aider à cheminer vers la lumière. Ce soir, en vénérant la croix, laissons-nous illuminer encore davantage par celui qui a donné sa vie pour chacun et chacune d’entre nous. Alors, au dernier jour, nous ressusciterons à notre tour, et nous le rejoindrons avec le bon larron et tous les saints pour jouir avec eux de la joie infinie de la Victoire de l’Amour et de la Vie sur la haine et sur la mort. AMEN.
P. Arnaud