Elle est venue, ta lumière !
Frères et sœurs, comment rencontrer le Seigneur ? Ces derniers jours, pour les fêtes de fin d’année, nous avons sans doute eu la joie de rencontrer les membres de nos familles et nos amis. Mais ces rencontres, aussi précieuses fussent-elles, n’ont pu assouvir notre désir le plus profond, qui est de rencontrer celui qui est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6). Pour parvenir à cette rencontre, prenons exemple sur les mages. Leur rencontre avec l’enfant-Dieu a fait naître en eux la joie (« ils se réjouirent d’une très grande joie »), l’adoration (« ils se prosternèrent devant lui et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe ») et la conversion de leurs cœurs (« ils regagnèrent leur pays par un autre chemin »). Un quatrième fruit de leur rencontre a sans doute été, plus tard, le témoignage, puisqu’ils furent les premiers païens à recevoir la révélation du Dieu fait homme, accomplissant ainsi le mystère qui avait été annoncé par les prophètes : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore » (1° lect.). Pour nous, suivre le chemin des mages signifie nous laisser éclairer d’une triple manière : par la raison, par la foi, et par l’Esprit Saint.
Pour commencer, nous devons chercher la vérité par la raison. Les mages scrutaient le ciel parce qu’ils croyaient que le monde était un cosmos, c’est-à-dire un univers régi par des lois, espérant ainsi acquérir la sagesse mais aussi la capacité de prédire l’avenir (les astronomes de l’époque étaient aussi des astrologues). C’est ainsi qu’ils ont pu découvrir une nouvelle étoile qui les a alertés. Leur raison leur avait permis non seulement de bien connaître le ciel, mais aussi l’histoire et la géographie, et ils avaient entendu parler de la prophétie qui circulait dans le peuple juif au sujet de la venue d’un sauveur, un envoyé de Dieu. N’oublions pas que le prophète Balaam était païen comme eux, et avait annoncé : « Un héros sortira de la descendance de Jacob, il dominera sur des peuples nombreux. Sa royauté sera exaltée » (Nb 24,7). Cette prophétie devait circuler aussi dans le monde païen, au moins chez les savants.
La raison est la plus grande faculté de l’homme, créé à l’image de Dieu, « animal rationnel » disaient les philosophes grecs. Notre recherche de la vérité par la raison s’exerce en particulier dans le cadre de la science. Alors que certains considèrent que les croyants sont des obscurantistes, l’histoire manifeste que beaucoup ont été de grands savants. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, l’inventeur de la théorie du big-bang, acceptée par les plus grands scientifiques aujourd’hui, était un jésuite belge, appelé Georges Lemaître. Mais pour que la raison permette à l’homme de s’approcher de la vérité, elle doit être courageuse et humble. Courageuse, parce qu’elle exige parfois de grands sacrifices, comme celui des mages qui ont accepté de quitter leur pays, leurs proches et leur confort pour partir vers l’inconnu, guidés par l’étoile. Dans l’histoire, beaucoup de savants ont dû affronter l’incompréhension et parfois l’hostilité, parce que leurs découvertes gênaient l’ordre établi. C’est ainsi que bon nombre de scientifiques allemands ou russes, sous les régimes nazi et communiste, furent persécutés parce qu’ils avaient accepté la théorie du big-bang qui allait contre le dogme officiel d’un univers sans commencement ni fin. La raison doit être humble aussi, comme celle des mages qui se prosternèrent devant un nouveau-né, afin de reconnaître ses limites et ses éventuelles erreurs. Alfred Einstein, bien qu’ayant découvert la relativité, s’était trompé dans une de ses équations parce qu’il refusait l’idée d’un univers en expansion. Il refusa d’abord la théorie d’un savant russe qui démontrait cette expansion, Alexander Friedmann, avant de se rétracter publiquement et de reconnaître son erreur.
La raison est nécessaire pour s’approcher de la vérité, mais pas suffisante. Elle doit se laisser aider par la foi. Les mages ont pu parvenir à Jérusalem grâce à leur raison, mais ils n’auraient pas pu aller plus loin sans l’aide des grands prêtres et des scribes qui connaissaient par cœur les Écritures et savaient que le messie devait naître à Bethléem en Judée, d’où devait sortir un chef, qui serait le berger d’Israël. La raison et la foi ne sont pas ennemies, au contraires, elles sont « les deux ailes qui nous permettent de voler vers la vérité » (Jean-Paul II dans Fides et Ratio).
La foi s’exprime dans les Écritures, mais aussi à travers les témoignages des croyants. Prenons l’exemple de sainte Edith Stein, qui était juive. Sa conversion au Christ a été rendue possible d’abord par le travail de sa raison, qui lui a permis de devenir une grande philosophe (à l‘école de Edmund Husserl). Mais ensuite, son cœur a été touché par deux témoignages de croyants. Le premier fut celui de la femme protestante d’un de ses amis: alors qu’il venait de décéder, elle resta forte et pleine d’espérance. Le second fut celui de sainte Thérèse d’Avila : après avoir lu sa vie pendant une nuit de l’été 1921, elle referma le livre en s’exclamant : « voilà la vérité ! », événement central qui la décida à devenir catholique et à entrer au Carmel.
La raison et la foi sont nécessaires pour s’approcher de la vérité, mais il arrive qu’elles soient insuffisantes et que nous ayons besoin de l’intervention directe de Dieu lui-même, à travers l’Esprit Saint. Les mages ont pu, grâce à leur raison et à la foi d’Israël, parvenir jusqu’à Bethléem, mais s’ils ont pu trouver leur destination précise, c’est parce que « l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant ». L’étoile symbolise l’intervention de Dieu : au départ, Il s’est manifesté au travers de leur raison, qui scrutait le ciel. Mais à la fin, il ne peut s’agir d’une véritable étoile (comment pourrait-elle indiquer une maison ou une grotte?), sans que nous sachions comment l’Esprit leur a indiqué précisément leur but. Parfois, la raison et la foi sont impuissantes à nous indiquer le chemin que nous devons suivre, comme on le voit continuellement dans les Actes des Apôtres (où le Saint-Esprit est mentionné 70 fois). C’est lui qui permet notamment aux apôtres de prendre la décision difficile de ne pas imposer la circoncision aux disciples venus du paganisme (« l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé » en 15,28) et à Paul de ne pas aller dans certaines régions qu’il comptait évangéliser (« le Saint-Esprit les empêcha de dire la Parole dans la province d’Asie » en 16,6 puis « s’opposa » à leur passage en Bithynie en 16,7), ce qui leur ouvrit finalement la route de la Grèce et donc de l’Europe.
Le Saint-Esprit, comme Jésus l’a annoncé, nous guide donc « dans la vérité tout entière » (Jn 16,13). Il le fait au moyen de ses dons, en particulier ceux de science (qui nous permet de la découvrir avec notre raison), d’intelligence (avec notre foi), et de conseil (à travers nos actions). Il nous permet donc d’approfondir la recherche de la vérité dans les deux premières étapes, et d’aller plus loin ensuite. Il peut s’exprimer dans la prière, mais aussi par les événements, les personnes… Souvenons-nous de Charles de Foucauld, qui sera canonisé le 15 mai prochain. Sa conversion s’est déroulée en 3 étapes elle aussi. Par sa raison d’abord, lorsqu’il était dans le désert auprès des nomades musulmans. Par la foi chrétienne ensuite, lorsqu’il écoutait les homélies de l’abbé Huvelin à Saint Augustin. Par l’action de l’Esprit en ce même abbé Huvelin enfin lorsqu’il finit par lui intimer « l’ordre » de se confesser.
Ainsi, comme les mages, nous pouvons rencontrer le Seigneur et éprouver une très grande joie, l’adorer en lui offrant le meilleur de nous-mêmes, et nous convertir en prenant de nouveaux chemins de vie. Pour cela, nous devons faire travailler notre raison avec courage et humilité, éclairer notre foi en écoutant les Écritures et les témoignages de tous les chercheurs de vérité, et être attentifs à la voix de l’Esprit Saint. Pendant cette année 2022 qui commence, suivons celui qui est le chemin, la vérité et la vie, et témoignons nous-mêmes de lui afin que tous les hommes soient « associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » (2° lect.). Bonne et sainte année à tous !
P. Arnaud