L’or, l’encens et la myrrhe
Frères et sœurs, que voulons-nous offrir au Seigneur ? A Noël, nous avons célébré celui qui est venu nous offrir le salut (Jésus) et la vie divine (Emmanuel). Devant un tel cadeau, nous avons d’abord été dans l’action de grâce comme les anges et les bergers, et nous avons chanté « Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ! Mais désormais, nous sommes appelés à suivre l’exemple des mages qui sont venus de très loin pour se prosterner devant lui et pour lui apporter leurs présents. Par l’or, ils honorent le roi (celui qui gouverne son peuple), par l’encens le prêtre (celui qui offre nos prières à Dieu) et par la myrrhe le prophète (celui qui parle au nom de Dieu). Le bon roi utilise les richesses de ses sujets pour servir le bien commun, le bon prêtre intercède pour les désirs des hommes auprès de Dieu, et le bon prophète accepte d’être persécuté à cause de son message. L’or symbolise ainsi nos richesses, l’encens nos désirs, et la myrrhe nos souffrances. Voyons comment nous pouvons, à la suite des mages, les offrir au Seigneur pour être fidèles à notre vocation de rois, de prêtres et de prophètes.
Pour commencer, l’or symbolise les richesses qu’on donne au roi pour qu’il puisse servir son peuple. Sa tentation est au contraire de se faire servir par lui. Regardons deux « rois » qui ont croisé le parcours de Jésus, à son commencement ou à son terme. Hérode, d’abord, avait tellement peur de perdre son pouvoir qu’il a fait massacrer tous les enfants de moins de 2 ans de Bethléem. Et les historiens nous apprennent qu’il fit également assassiner sa femme, la famille de celle-ci, et ses propres fils, tant il était esclave de sa peur. Quant à Pilate, c’est également à cause de la peur de se voir retirer son pouvoir par l’empereur de Rome qu’il fit condamner Jésus, qu’il savait innocent…
Jésus, quant à lui, a dit à ses disciples : « Les rois des nations païennes leur commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place de celui qui sert. » (Lc 22,25) La royauté de Jésus est celle du service des autres, en particulier celui de la Vérité. C’est ce qu’il dit à Pilate qui lui demande s’il est roi : « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité.» (Jn 18,37)
Et nous, que faisons-nous de nos richesses ? Elles sont de divers ordres : matérielles (nos biens), physiques (notre santé), intellectuelles (nos connaissances), spirituelles (notre foi, notre espérance, notre charité) … Les conservons-nous égoïstement pour nous-mêmes, ou les mettons-nous à disposition du Seigneur et de notre prochain ?
Deuxièmement, l’encens symbolise nos désirs qui montent vers le ciel et pour lesquelles le prêtre doit intercéder auprès de Dieu. Dans le passé, il offrait de l’encens sur l’autel, en même temps que les sacrifices d’animaux, afin d’intercéder pour une bonne récolte, la préservation des dangers, etc. Jésus, lui aussi, peut présenter nos désirs au Père : « Jésus, parce qu’il demeure pour l’éternité, possède un sacerdoce qui ne passe pas. C’est pourquoi il est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, car il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur. » (He 7,24-25) Mais attention, nous ne serons exaucés que si nos désirs sont conformes au dessein de Dieu : « Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous » (Jn 15,7). Alors, que pouvons-nous désirer et demander ? Jésus nous répond : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11,13) Saint Séraphin de Sarov disait de même : « Le but le la vie chrétienne, c’est d’acquérir le Saint-Esprit »… Car c’est seulement l’Esprit qui nous donne de prier selon la volonté du Père : il « vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles. » (Rm 8,26-27).
Et nous, quels sont nos désirs ? Est-ce qu’avant tout, nous cherchons à acquérir le Saint-Esprit ?
Troisièmement, la myrrhe (qu’on utilisait pour embaumer les morts) symbolise nos souffrances. C’est pourquoi elle est reliée aux prophètes, qui ont tous été persécutés. Celui qui parle au nom du Seigneur est toujours confronté, à un moment ou à un autre, à l’adversité. Jésus dans la crèche n’est encore qu’un enfant, mais le bois de son « berceau » préfigure celui de la croix, et ses langes annoncent son linceul, comme les icônes le manifestent. « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn 1,11) Aussi ses disciples doivent s’y attendre : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : il y aura là un témoignage pour eux et pour les païens. » (Mt 10,18)
Sommes-nous prêts à souffrir et mourir pour le Christ ? Nous pouvons rencontrer deux types de souffrances. Il y a d’abord celles qui sont liées à notre rôle actif de prophètes. Aujourd’hui encore, des millions de chrétiens sont persécutés à cause de leur foi, et des milliers meurent chaque année. En France, nous n’avons pas à redouter le martyre, mais nous plutôt des vexations, aussi bien dans certaines professions que dans certains milieux sociaux, peut-être parmi nos amis et même dans nos propres familles… En plus de ces souffrances liées à notre témoignage de chrétiens, il y a aussi toutes celles que la vie nous inflige : un problème de santé, la perte d’un être cher, une injustice que nous avons subie… Ces souffrances-là aussi, nous pouvons les offrir au Seigneur. Saint Paul écrit ainsi aux Colossiens : « Maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. » (Col 1,24) Bien sûr, nous ne devons pas chercher les souffrances pour elles-mêmes, mais simplement offrir celles que nous rencontrons car elles peuvent mystérieusement contribuer à l’avènement du Royaume. Sainte Elisabeth de la Trinité a écrit que « l’apostolat de la souffrance est supérieur à celui de l’action ». Dans la congrégation fondée par Mère Teresa, les femmes dont la santé est trop fragile pour aller dans la rue sont invitées à entrer dans la branche contemplative et à offrir leurs peines pour leurs sœurs de la branche « active » et les personnes qu’elles soignent.
Ainsi, frères et sœurs, l’or représente les biens que nous possédons, l’encens les biens que nous ne possédons pas et que nous désirons, et la myrrhe les maux dont nous souffrons… Offrons tout cela au Seigneur, comme l’ont fait les mages. Après avoir quitté Bethléem, les mages sont repartis « par un autre chemin », symbole de leur transformation après avoir rencontré le Fils de Dieu. Ils ont certainement témoigné de cette rencontre auprès de leurs concitoyens, et ils sont ainsi devenus les premiers missionnaires. Ils ont préfiguré ce que le prophète Isaïe avait annoncé : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore… Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. » (1° lect.) A notre tour, soyons témoins de nos rencontres avec le Christ. En particulier, à chaque fois que nous participons à l’eucharistie, repartons de l’Eglise par un autre chemin, et allons propager là où nous vivons la Bonne Nouvelle de ce Dieu qui, en s’offrant à nous, nous a offert le salut et la vie divine !
P. Arnaud