Prêtres, prophètes et rois

Frères et sœurs, que faisons-nous de nos cadeaux ? Je ne parle pas de ceux de Noël, mais de ceux de notre baptême, lorsque nous avons reçu spirituellement l’or des rois, l’encens des prêtres et la myrrhe des prophètes. Certes, ces 3 présents étaient d’abord destinés à Jésus. En les lui offrant, les mages ont reconnu en lui le roi, le prêtre et le prophète par excellence. Mais le jour de notre baptême, nous avons été unis à lui et nous le sommes devenus à notre tour. Voyons ce que chacune de ces missions signifie.

 

Pour commencer, le roi, symbolisé par l’or, est celui qui sert son peuple. Sa tentation est exactement l’inverse, à savoir de le dominer pour se faire servir par lui. Regardons 2 « rois » qui ont croisé le parcours de Jésus, à son commencement ou à son terme. Hérode, d’abord, avait tellement peur de perdre son pouvoir qu’il a fait massacrer tous les enfants de moins de 2 ans de Bethléem. Et les historiens nous apprennent qu’il fit également assassiner sa femme, la famille de celle-ci, et ses propres fils, tant il était esclave de sa peur. Quant à Pilate, c’est également à cause de la peur de se voir retirer son pouvoir par l’empereur de Rome qu’il fit condamner Jésus, qu’il savait innocent…

Jésus, quant à lui, a dit à ses disciples : « Les rois des nations païennes leur commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune, et celui qui commande, la place de celui qui sert. » (Lc 22,25) La royauté de Jésus est celle du service des autres, en particulier celui de la Vérité. C’est ce qu’il dit à Pilate qui lui demande s’il est roi : « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité.» (Jn 18,37)

Et nous, que faisons-nous de notre pouvoir ? L’utilisons-nous au service de ceux dont nous avons la charge, notamment pour les faire grandir dans la Vérité ? La coutume de tirer au sort les rois, au moment du partage de la galette, nous rappelle que les rois ne sont pas d’une autre espèce que les autres. A Athènes, berceau de la démocratie, la plupart des dirigeants étaient tirés au sort chaque année. Idem dans les républiques italiennes, ou encore en Suisse.

 

Deuxièmement, le prêtre est celui qui offrait de l’encens sur l’autel, en même temps que les sacrifices d’animaux. Jésus n’a pas été prêtre de cette façon-là, car il n’était pas de la tribu de Lévi, mais il l’a été en s’offrant lui-même. Comme l’écrit l’auteur de l’épître aux Hébreux : « Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même. » (He 7,27) Et il ajoute plus loin : « en entrant dans le monde, le Christ dit : Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté.» (He 10,5‑7) Son offrande lui-même, c’est au moment de sa Passion que Jésus l’accomplit, lorsqu’il dit d’abord à son Père : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26,39).

Et nous, sommes-nous prêts à nous offrir au Seigneur ? Cherchons-nous à accomplir sa volonté en toute circonstance ? Ecoutons saint Paul: « Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » (Rm 12,1-2)

 

Troisièmement, le prophète est symbolisé par la myrrhe, car elle était utilisée pour embaumer les morts. Cela signifie que celui qui parle au nom du Seigneur est toujours confronté, à un moment ou à un autre, à l’adversité. Jésus n’est encore qu’un enfant, mais le bois de son « berceau » préfigure celui de la croix, et ses langes annoncent son linceul, comme les icônes le manifestent. Il est la Parole de Dieu, et cette Parole ne plaira pas à tous : « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn 1,11) Et ses disciples doivent s’y attendre : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : il y aura là un témoignage pour eux et pour les païens. » (Mt 10,18)

Sommes-nous prêts à souffrir et mourir pour le Christ ? Aujourd’hui encore, des millions de chrétiens sont persécutés à cause de leur Foi, et des milliers meurent chaque année. En France, nous n’avons pas à redouter le martyre, mais nous plutôt des vexations, aussi bien dans certaines professions que dans certains milieux sociaux, peut-être parmi nos amis et même dans nos propres familles… Le politiquement correct ne nous étouffe-t-il pas parfois ? Pourtant, nous ne devons pas avoir peur : en avertissant ses disciples des persécutions qui les attendaient, Jésus leur a dit aussi : « Quand on vous livrera, ne vous tourmentez pas pour savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous. » (Mt 10,19‑20) Et Jésus avait déclaré dans son sermon sur la montagne, comme ultime béatitude : « Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Mt 5,11‑12) Et cette persécution peut aller jusqu’à la mort, comme il le dura plus tard : « Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. » (Lc 21,16) Le martyre est le plus beau témoignage qu’on puisse donner car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).

 

Pour conclure, frères et sœurs, rendons grâce à Celui qui nous a offert l’or des rois, l’encens des prêtres et la myrrhe des prophètes. Ne laissons pas ces cadeaux dans le placard de notre cœur, mais employons-les pour le bien de tous. La fête de l’Epiphanie est la fête missionnaire par excellence. La venue des mages à Bethléem préfigure le rassemblement de toutes les nations païennes autour du Christ. « Lève les yeux, regarde autour de toi : tous, ils se rassemblent, ils arrivent ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur les bras. » (1° lect.) Mais ce rassemblement ne pourra pas advenir si les païens ne le connaissent pas ! C’est donc à nous de le leur annoncer, comme saint Paul nous le rappelle : « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » (2° lect.) Après avoir quitté Bethléem, les mages sont repartis « par un autre chemin », symbole de leur transformation après avoir rencontré le Fils de Dieu. C’est par eux que les païens ont entendu la première annonce de sa venue parmi nous. Comme eux, à chaque fois que nous rencontrons le Fils de Dieu dans l’eucharistie, offrons lui tout ce que nous sommes et repartons de l’église « par un autre chemin », en assumant de mieux en mieux notre mission de rois pour servir nos frères, de prêtres pour leur offrir nos vies, et de prophètes pour leur témoigner de la Bonne Nouvelle. AMEN.

P. Arnaud