Je suis la résurrection et la vie

« C’est mort ». Vous connaissez sans doute cette expression utilisée souvent par les jeunes, frères et sœurs. Entre autres sens, elle signifie : « ce n’est pas possible ». Mais Jésus a dit : « tout est possible à celui qui croit » (Mc 9,23). La question qu’il pose à Marthe, il la pose à chacun d’entre nous : « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Jésus ne parle pas de la mort physique, qui est inéluctable, mais de la mort spirituelle, celle que saint Jean appelle 4 fois « la seconde mort » dans son Apocalypse. C’est celle-ci qui est à craindre : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » (Mt 10,28) On peut être vivant physiquement mais mort spirituellement, comme Jésus l’a révélé : « laissez les morts enterrer les morts » (Lc 9,60) La résurrection de Lazare est le 7ème et dernier signe relaté par saint Jean dans son évangile. C’est le plus éclatant de tous, celui qui va paradoxalement entraîner sa propre mort. Pour le différencier de sa propre résurrection, après laquelle il reviendra sur terre avec un corps glorifié, on pourrait parler du « réveil » de Lazare, ou de son « retour à la vie ». Certes, il s’agit du 7ème récit de résurrection relaté par la Bible (4 dans l’Ancien Testament, et 3 dans les évangiles). Cependant, c’est le seul où le défunt sent déjà, parce qu’il est déjà entré en décomposition. Voilà pourquoi Jésus a attendu 2 jours avant d’aller retrouver son ami Lazare, après avoir déclaré : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Cet évènement relaté par saint Jean, bien que réel, est aussi très symbolique. Il nous invite à une résurrection non de notre corps (celle-ci adviendra à la fin des temps), mais de notre cœur, ici et maintenant. A l’aide de 3 paroles de Jésus, nous allons voir qu’il est une invitation à une triple conversion : nous arracher à notre sommeil ; sortir de nos tombeaux ; nous laisser délier de nos bandelettes.

 

« Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je m’en vais le tirer de ce sommeil. » A un autre moment aussi, Jésus a parlé de la mort comme du sommeil. En allant vers la fille de Jaïre, le chef de la synagogue, il avait dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. » (Mc 5,39) Pour commencer, le Christ nous invite donc indirectement à sortir de notre sommeil. Bien-sûr, il s’agit ici du sommeil au sens spirituel. En effet, il est possible de dormir en étant éveillé. Combien de fois n’avons-nous pas dit à un proche, ou nous sommes-nous entendus dire : « Tu dors ?», parce que ce proche ou nous-mêmes n’étions pas pleinement présents à ce que nous faisions ? Bernanos a eu des mots très virulents contre ceux qui passent leur vie à dormir, sans jamais permettre à leur conscience de s’éveiller. Ces hommes-là sont des morts-vivants. Lorsque nous dormons, nous sommes vulnérables et c’est pourquoi une armée possède des veilleurs qui peuvent à tout moment donner l’alerte. C’est pourquoi, au début de l’Avent, saint Paul nous exhorte chaque année : «  c’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil. » (Rm 13,11)

Le sommeil spirituel entraîne une insensibilité du cœur. Jésus, dans l’évangile, manifeste qu’il est pleinement éveillé : Jean écrit qu’il « fut saisi d’émotion, il fut bouleversé » et même qu’il « pleura » avant d’être « repris par l’émotion ». Alors que les philosophes soulignent l’impassibilité de Dieu, Jésus se révèle ici comme à la fois pleinement Dieu (capable de donner la vie) et pleinement homme (capable de souffrir).

 

« Lazare, viens dehors ! » Pour vivre pleinement, éveiller sa conscience est nécessaire, mais pas suffisant ; il faut aussi sortir de nos tombeaux : de nos peurs, de nos enfermements. Par le prophète Ezéchiel, le Seigneur avait déclaré : « Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. » (1° lect.) A son peuple en exil à Babylone, guetté par le découragement et la désespérance, Dieu voulait susciter une espérance.

La petite Thérèse de Lisieux n’était pas une grande pècheresse, mais sa fragilité psychique – que la mort de sa mère puis les départs de ses sœurs avaient occasionnée – l’empêchait de vivre pleinement. Elle était comme enfermée dans un tombeau avec ses crises de scrupules et d’angoisse. Après l’avoir « ressuscitée » une première fois par le sourire de sa Mère lorsqu’elle avait 10 ans, le Seigneur la guérit complètement 4 ans plus tard, lors de la nuit de Noël. Alors qu’elle était tentée d’éclater une nouvelle fois en sanglots après une parole malheureuse de son papa, elle reçut une grâce qui lui permit d’arborer un large sourire à ceux qui l’entouraient. Elle écrira ensuite : « en cette nuit où Il se fit faible et souffrant pour mon amour, Il me rendit forte et courageuse, Il me revêtit de ses armes et depuis cette nuit bénie, je ne fus vaincue en aucun combat, mais au contraire je marchai de victoires en victoires et commençai pour ainsi dire une course de géant ! » (Ms A44).

 

« Déliez-le, et laissez-le aller. » Pour vivre de la vie divine, il faut non seulement sortir de notre sommeil et de nos tombeaux, mais aussi nous laisser délier de nos péchés qui nous rendent esclaves. Saint Paul écrit aux Romains : « sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu. » (2° lect.) La chair, ce sont toutes les tendances qui nous éloignent de Dieu et de nos frères. Au contraire, « si le Christ est en vous, votre corps a beau être voué à la mort à cause du péché, l’Esprit est votre vie, parce que vous êtes devenus des justes. » Il nous faut donc choisir entre l’emprise de la chair et l’emprise de l’Esprit. Cependant, nous savons qu’il nous arrive à tous de pécher, même si nous voulons être dociles à l’Esprit. Alors, comment nous laisser délier des bandelettes de « la chair », c’est-à-dire de tout ce qui en nous n’est pas encore converti ? Par le sacrement de réconciliation. Jésus a dit solennellement aux apôtres : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » (Mt 18, 18)

Un exemple des évangiles illustre bien la puissance du pardon de Dieu, celui de Marie-Madeleine. Après avoir été libérée par Jésus de « sept démons » (Lc 8,2), elle n’a plus été sous l’emprise de la chair, mais sous celui de l’Esprit. Dans sa liberté recouvrée, elle a été capable de suivre Jésus jusqu’au pied de la croix, alors que les apôtres s’étaient tous laissés asservir par la peur.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur Jésus veut nous délivrer de la « seconde mort », la mort spirituelle. Dans ce but, il nous appelle à nous arracher au sommeil de notre conscience, à sortir de nos tombeaux, et  à nous libérer de la servitude du péché. Il nous invite à cette triple conversion dès maintenant, comme il a invité Marthe à passer d’une foi en la résurrection dans l’avenir à une résurrection pour le présent. Le Christ est venu pour que nous ayons la vie, la vie en abondance (Jn 10,10), dès ici-bas. Avant la fête de Pâques, recevons le sacrement de réconciliation, si nous ne l’avons pas reçu récemment, et cherchons à vivre dans le Christ. Si le Fils de Dieu a pleuré, c’est parce qu’il souffrait de nos propres souffrances, et en particulier de la mort. Alors, soyons des vivants, afin qu’il puisse se réjouir avec nous !

P. Arnaud