Laissons-nous réconcilier avec Dieu

Frères et sœurs, sommes-nous prêts à nous convertir ? Dans quelques instants, au moment où les cendres[i] imposées sur notre front nous rappelleront que nous sommes poussière et que nous retournerons à la poussière, nous entendrons cette parole : « Convertissez-vous, et croyez à l’évangile ». Peut-être estimons-nous, puisque nous sommes croyants et pratiquants, que cet appel concerne avant tout ceux « du dehors » qui mènent une vie désordonnée… Si nous raisonnons ainsi, c’est que nous avons oublié le plus grand de tous les commandements : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même » (Lc 10,27) Ce commandement nous donne un objectif que nous n’aurons jamais atteint complètement. Toujours, nous aurons à nous convertir pour aimer davantage Dieu, nos frères et nous-mêmes. Toujours, nous aurons à nous tourner vers Dieu, car nous sommes sans cesse portés à nous en détourner, poussés par notre nature blessée par le péché, par le monde, et par l’Adversaire… L’appel à la conversion résonne aujourd’hui avec une force particulière, après que l’Eglise a été salie par des scandales qui en ont éloigné les « petits » dans la foi (Mt 18,6). A nous de témoigner, par notre sainteté, de la bonne nouvelle qui attire comme la lumière ! Mais comment nous convertir ? Jésus lui-même vient de nous répondre dans l’évangile, en nous indiquant 3 pistes, qu’on pourrait appeler les 3 p : la prière pour grandir dans l’amour de Dieu ; le partage pour grandir dans l’amour des autres[ii] ; les privations pour grandir dans l’amour de nous-mêmes. Ces 3 p se rassemblent et conduisent au P de Pâques, qui signifie passage : de la mort à la vie, de la haine et de l’indifférence à l’amour. Voici la récompense dont Jésus vient de nous parler plusieurs fois dans l’évangile : la vie et l’amour, auxquels nous aspirons tous. Puisque c’est Dieu qui est la Vie et l’Amour, notre récompense, c’est Lui-même ! Voyons comment nous pouvons recevoir cette récompense, en apprenant à aimer davantage le Seigneur, notre prochain, et nous-mêmes.

 

Commençons par le Seigneur. « Dieu premier servi » disait Jeanne d’Arc. « La prière ce n’est pas beaucoup penser, c’est beaucoup aimer » (Ste Thérèse d’Avila). Tous ici, nous aimons le Seigneur, sinon pourquoi serions-nous ici ce soir ? Mais l’aimons-nous vraiment de tout notre cœur ? Voyons quelles sont les caractéristiques de l’amour entre deux personnes. Premièrement, ils sont prêts à passer des heures dans l’intimité ensemble, ils voudraient ne jamais se quitter. Deuxièmement, ils cherchent à se connaître sans cesse mieux l’un l’autre. Troisièmement, ils aiment aussi se faire des cadeaux… Est-ce ainsi que nous agissons vis-à-vis du Seigneur ? D’abord, quel temps consacrons-nous à l’oraison ou l’adoration, à ce cœur à cœur amoureux où alternent les paroles et le silence ? Ensuite, cherchons-nous à mieux connaître le Seigneur en formant notre Foi par des lectures ou par la participation à des cours ou à des conférences ? Enfin, sommes-nous désireux de recevoir les cadeaux de Dieu que sont les sacrements ? Il s’agit là de 3 formes d’amour mais aussi de prière. Un homme et une femme mariés depuis de longues années, s’ils ne font pas d’efforts particuliers, risquent de sombrer dans la routine et de mener une vie de solitudes jointes, sans véritable communication et en oubliant les cadeaux. En fait, l’amour est comme un feu qui peut se développer sans cesse, pour peu qu’on veuille bien le nourrir. Le bois sec brûle d’ailleurs mieux que le bois vert. Certains couples célèbrent leurs 50 ou 60 ans de mariage avec un amour encore plus grand qu’au premier jour, même s’il a pris une forme différente.

 

En deuxième lieu,  celui qui aime Dieu aime aussi son prochain. « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu” et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4,20). A la fin de notre vie, le Seigneur nous jugera sur la manière avec laquelle nous nous serons comportés avec les autres. Pas seulement avec nos proches (notre famille, nos amis…) mais aussi et surtout avec ceux que nous n’aimons pas assez, avec lesquels nous sommes en conflit, que nous ne voulons pas pardonner ou qui ne veulent pas nous pardonner… Le Christ nous a dit : « lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (Mt 5,23-24) La question n’est pas de savoir si j’ai commis une faute ou non : même si je n’ai rien à me reprocher, je dois aller par amour vers mon frère ou ma sœur qui m’en veut, afin de le « sauver » de sa haine ou de son ressentiment contre moi. Pendant ce Carême, avec qui le Seigneur me demande-t-il de me réconcilier ?

 

En troisième lieu, celui qui aime Dieu et son prochain ne peut que s’aimer lui-même. A la lumière de l’Esprit qui l’habite, il prend conscience de sa valeur inestimable, en tant que fils ou fille aimée de Dieu et serviteur de ses frères. Cet amour de soi n’est ni orgueil, ni égoïsme. Comme le disait sainte Thérèse d’Avila, « l’humilité, c’est la vérité ». Le plus bel exemple nous est donné par la Vierge Marie elle-même. Après avoir accepté de devenir la mère du Sauveur, elle chante son magnificat avec notamment ces paroles : Dieu « s’est penché sur son humble servante, désormais toutes les générations me diront bienheureuse. Le Seigneur fit pour moi des merveilles, saint est son Nom » (Lc 1,48-49) Le jeûne, et plus largement les privations, peuvent nous aider à grandir dans l’amour de nous-mêmes. En me privant de quelque chose qui me tient à cœur, voire même dont j’ai besoin, je suis amené à faire davantage confiance à Dieu et à grandir ainsi dans la Foi. Je peux alors éprouver ce que saint Paul écrivait : « Je peux tout en Celui qui me fortifie » (Ph 4,13).

 

Ainsi, la prière, le partage et les privations sont des moyens privilégiés pour vivre le Carême. La prière, et plus largement les sacrements et la formation de mon intelligence, feront grandir mon amour pour Dieu. Le partage m’aidera à grandir dans l’amour des autres. Et les privations me donneront de grandir dans l’amour de moi-même. En réalité, cependant, ces trois chemins se rejoignent. Comme le dit saint Pierre Chrysologue dans une homélie (en employant un ordre différent de l’évangile) : « La prière frappe à la porte, le jeûne obtient, la miséricorde reçoit. Prière, miséricorde, jeûne : les trois ne font qu’un et se donnent mutuellement la vie […] Celui qui prie doit jeûner ; celui qui jeûne doit avoir pitié. Le jeûne ne porte pas de fruit s’il n’est pas arrosé par la miséricorde. » Ces 3 chemins qui se rejoignent doivent être parcourus dans l’humilité, le Christ a insisté sur ce point : « ton Père voit dans le secret, Il te le rendra », pas besoin de chercher la gloire des hommes. Prenons exemple sur lui : il priait souvent son Père, parfois pendant des nuits entières ; il a donné tout ce qu’il possédait, la Vérité, et finalement sa Vie elle-même ; il s’est beaucoup privé, non seulement pendant son jeûne au désert, mais aussi ensuite, lorsqu’il n’avait « pas de pierre où reposer la tête » … Pour conclure, frères et sœurs, laissons-nous réconcilier avec Dieu. Prions pour que ce Carême soit pour nous tous un temps de grâce et que nous réalisions tous nos efforts en communion les uns avec les autres, dans le souffle de l’Esprit. Et lorsque nous chuterons, n’oublions pas que nous sommes nous-mêmes des ppp, pauvres pêcheurs pardonnés, et que le Seigneur nous attend au confessionnal comme un Père « tendre et miséricordieux » (1° lect.) !

P. Arnaud

[i] Que signifient les cendres que nous allons recevoir sur nos fronts dans quelques minutes ? Premièrement, les cendres sont un signe d’humilité qui nous rappelle que nous sommes des créatures. Nous sommes poussière et nous retournerons à la poussière. Nous ne vivons que parce que Dieu nous donne son souffle, comme il l’a fait en créant Adam et Eve à partir de la glaise. Le piège que le serpent leur a tendu, et dans lequel ils se sont laissés prendre, était de leur faire croire qu’ils pouvaient être comme des dieux en désobéissant au Seigneur. Cette tentation est toujours actuelle. Toute notre société va dans ce sens, avec le désir de maîtrise de la vie de son début jusqu’à sa fin et les efforts des transhumanistes qui refusent la mort. Nous chrétiens, nous ne refusons pas le progrès, au contraire, mais nous voulons qu’il ne dénature pas l’être humain. Nous devons rester à notre place de créatures.

Deuxièmement, les cendres sont un signe de pénitence. Car non seulement nous sommes des créatures, mais aussi nous sommes pécheurs. Souvenons-nous des habitants de Ninive : après la proclamation de Jonas, « ils crurent en Dieu. … Le roi se leva de son trône, quitta son manteau, se couvrit d’une toile à sac, et s’assit sur la cendre. » (Jon 3,5-6) Ce carême peut nous aider à mieux prendre conscience de nos péchés, non pour en être écrasés, mais pour en être délivrés, comme les Hébreux furent délivrés de l’esclavage de Pharaon. Dans son message de Carême de 2018, Mgr Santier racontait ce que lui avait dit un ami pianiste : « dans la pénombre, mon piano est magnifique, mais dès qu’il y a de la lumière, on découvre des imperfections dues à la poussière et aux marques de doigts ». Cette anecdote aide à comprendre ce qu’est le péché : tant que l’on ne se sait pas dans la Lumière de l’Amour de Dieu, on ne peut le reconnaître… Pendant ce Carême, nous serons invités à recevoir le sacrement du pardon.

Troisièmement, cependant, les cendres sont un signe d’espérance, qui nous rappelle que nous sommes fils de Dieu. Le feu peut parfois couver sous la cendre, et reprendre lorsqu’on souffle sur elle. Les cendres fertilisent la terre, et la vie peut « renaitre de ses cendres ». Oui, nous sommes poussière, mais nous avons reçu en nous le feu de l’amour divin, et pendant ce Carême, le Seigneur veut envoyer sur nous le souffle de son Esprit pour attiser son Amour. C’est le désir le plus profond du Christ, comme il l’avait dit à ses disciples : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49) Nous savons que le feu qui couve sous la cendre est très fragile, et qu’il peut s’éteindre totalement si l’on y verse de l’eau par exemple. Souvenons-nous qu’à la fin des temps, « à cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira. » (Mt 24,12) Dans sa description de l’enfer, Dante Alighieri imagine le diable assis sur un trône de glace…

[ii] L’expression « faire l’aumône » qui est utilisée dans l’évangile a été dénaturée. Pour beaucoup de nos contemporains, elle signifie seulement donner une petite pièce à un pauvre dans la rue ou envoyer un chèque à une association. Certes, ces actions sont bonnes, à condition toutefois de n’être pas seulement des moyens pour se donner bonne conscience. Ce qui importe vraiment, c’est de donner avec amour, comme saint Paul l’écrivait aux Corinthiens : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Co 13,3)