Pierre et Paul, les colonnes de l’Eglise
Frères et sœurs, comment parvenir au Ciel où le Seigneur nous attend ? Il s’agit de notre désir le plus profond, qui rejoint celui de Dieu lui-même. Prenons exemple sur les saints, qui nous y attendent. Aujourd’hui, l’Eglise nous invite de façon exceptionnelle à contempler deux d’entre eux ensemble. Si vous êtes allés à Rome, vous avez pu constater que dans toutes les grandes basiliques, comme sur la place Saint Pierre, Pierre et Paul ne sont pas loin l’un de l’autre. Pourquoi associer ces deux Apôtres, pourtant si différents l’un de l’autre (Simon était un pécheur de Galilée, sans instruction, alors que Saul était un Pharisien très érudit de la diaspora) ? Et pourquoi nous les donner comme exemples, alors qu’ils ont tous deux manifesté leurs faiblesses (Pierre souvent lent à comprendre – comme les autres apôtres – et qui a renié Jésus, et Paul, qui a persécuté les chrétiens) ? Parce que le Christ lui-même les a unis par la même mission d’évangéliser : le premier irait vers les Juifs, le second vers les païens (cf Ga 2,9). Simon est devenu Pierre, et Saul est devenu Paul. Malgré leurs différences et leurs faiblesses, ils ont su tous les deux accomplir la mission qu’ils avaient reçue du Christ : Pierre comme chef de l’Eglise et Paul comme missionnaire parmi les nations. De plus, tous les deux lui ont donné leur vie dans le martyr à Rome. Cherchons à comprendre leurs missions spécifiques.
Pour commencer, tournons nos regards vers Pierre, qui personnifie l’Eglise comme institution. C’est à lui que Jésus a dit, à Césarée de Philippes, dans une région montagneuse caractérisée par ses immenses rochers : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. » (év.). Lorsque Jésus demande à ses disciples : « Le Fils de l’homme, qui est-il, d’après ce que disent les hommes ? », c’est lui qui est capable de déclarer, inspiré par le Père : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » Il a reconnu en Jésus non seulement son humanité, mais aussi sa divinité. La foi de Pierre était pourtant loin d’être parfaite. Elle fut parfois entachée de doute, comme sur le lac de Galilée où il commença à s’enfoncer après avoir commencé de marcher sur l’eau (Mt 14,31). Ensuite, il manqua au début de charité, de cet amour qui est prêt à souffrir pour l’autre. Juste après sa magnifique profession de foi, il ose faire de vifs reproches à Jésus qui vient d’annoncer pour la première fois sa Passion et sa mort : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas » (Mt 16, 22). Pierre va alors entendre cette parole qui peut nous sembler d’une violence inouïe : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16, 23) Au moment de la Passion, le triple reniement de Pierre manifestera en actes cette faiblesse de la foi de Pierre qu’il avait révélée par ses paroles…
A cet homme fragile, Jésus a confié une double mission. D’abord, celle de garantir l’unité du troupeau, dans la Vérité et la Charité : « Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Dans le langage des rabbins de l’époque, « lier et délier » désignait couramment le droit d’interdire et de permettre, le pouvoir législatif. Ce pouvoir est d’abord conféré à Pierre, mais deux chapitres plus loin (Mt 18), Jésus le donne aussi aux autres apôtres. Aussi, c’est le rôle avant tout du Pape, mais aussi des évêques, de sauvegarder l’unité du troupeau en excluant les loups qui cherchent à y pénétrer, et en donnant des balises sur le chemin qui nous mène vers le Ciel par la Vérité et par la Charité, ce qu’on appelle les « dogmes » en matière de foi et les « canons » en matière de mœurs.
Ensuite, le rôle de Pierre est de confirmer la foi des disciples. Au moment de la dernière Cène, Jésus lui a dit : « j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22, 32) Affermis leur courage par tes paroles, par ton exemple…
Tournons-nous maintenant vers Paul, qui personnifie l’Eglise comme un corps dynamique, ouvert sur le monde. Il a reçu une double mission. D’abord, celle d’annoncer à tous la Bonne Nouvelle : « annoncer l’Évangile, ce n’est pas là mon motif d’orgueil, c’est une nécessité qui s’impose à moi ; malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile. » (1 Co 9, 16). Si Paul avait le désir de s’adresser d’abord à ses frères juifs, ce sont finalement les païens qui ont le mieux accueilli sa parole : « Il m’a rempli de force pour que je puisse annoncer jusqu’au bout l’Évangile et le faire entendre à toutes les nations païennes. » (2° lect.)
Paul n’est pas seulement un missionnaire, il est aussi un théologien. En plus d‘annoncer la Bonne Nouvelle, il a reçu aussi la grâce de pouvoir en comprendre toute la profondeur et de la mettre en lumière. Aux Ephésiens, il écrit : « par révélation, Dieu m’a fait connaître le mystère du Christ. » (Ep 3,3) Paul nous ainsi laissé 14 lettres (même si certaines ne sont sans doute pas de lui mais de ses disciples) grâce auxquelles nous pouvons mieux comprendre le mystère du dessein de Dieu.
Rendons grâce au Seigneur, frères et sœurs, d’avoir fait reposer notre Église sur les deux colonnes que sont Pierre et Paul. Certes, ils sont très différents l’un de l’autre. Le premier symbolise son côté institutionnel, grâce auquel le peuple de Dieu est maintenu solidement dans l’unité et confirmé dans sa foi. Il est la pierre sur laquelle le Christ a bâti son Eglise et « la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle » (év.) Le second incarne son dynamisme, grâce auquel elle est missionnaire (pour aller vers les périphéries) et théologienne (pour approfondir son mystère). Ces deux aspects sont inséparables et complémentaires, comme les racines et les fruits d’un arbre. Certes, des tensions peuvent exister parfois, entre ceux qui cherchent à maintenir la stabilité de l’édifice, et ceux qui cherchent à aller de l’avant. Ces tensions ont existé depuis le début : souvenons-nous que Paul s’est permis de s’opposer ouvertement à Pierre à Antioche, lorsque celui-ci refusa de prendre ses repas avec des païens pour ne pas froisser les disciples d’origine juive (Ga 2,11). Mais l’essentiel, au-delà de nos divergences d’opinion, est de maintenir notre communion par notre amour pour le Christ et pour l’Eglise. Si Pierre est demeuré le pasteur du troupeau, après son triple reniement, c’est parce qu’il a répondu trois fois à Jésus qui lui demandait : « m’aimes-tu ? » : « tu sais bien que je t’aime ». Il l’a prouvé ensuite en refusant de se soumettre aux menaces des autorités juives, ce qui lui a valu notamment l’emprisonnement dont la première lecture nous a rappelé la libération miraculeuse[i]. Et il a témoigné de son amour pour l’Eglise en retournant vers Rome, alors qu’il fuyait les persécutions, pour être avec ses frères chrétiens (« quo vadis ? »). Et si Paul a porté tant de fruit après avoir d’abord persécuté les chrétiens, c’est parce que pour lui « vivre, c’est le Christ » (Ph 1,21) et aussi parce que sa « préoccupation quotidienne » c’était « le souci de toutes les Églises. » (2 Co 11,28). Et malgré ses désaccords occasionnels avec Pierre, il a toujours vécu dans l’obéissance, allant plusieurs fois à Jérusalem rechercher son approbation (cf Ga 2,2). Nous aussi, aimons l’Eglise, prions pour le Pape Léon et pour les évêques, ainsi que pour les missionnaires et les théologiens, et évangélisons notre monde, chacun à notre place, sûrs que nos différences sont autant de richesses et que le Seigneur déploiera sa puissance dans nos faiblesses !
P. Arnaud
[i] Cet évènement rappelle sous de multiples aspects (Pâques, Hérode, les gardes, l’ange, l’incrédulité des disciples, le départ vers une destination inconnue) la résurrection de Jésus, libéré de la prison du tombeau : Pierre est devenu un autre Christ