La scie de saint Joseph

Frères et sœurs, pourquoi le pape Pie IX a-t-il institué saint Joseph patron de l’Eglise universelle ? Parce que comme il a veillé sur la sainte Famille, il continue de veiller sur la famille des Chrétiens. Et s’il a reçu une telle mission, qui est à la fois une grâce et une responsabilité immenses, c’est parce qu’il avait été profondément béni par le Seigneur. Comme Marie son épouse, on pourrait dire de lui qu’il est « plein de grâce ». Je vous propose de méditer aujourd’hui sur ses vertus à partir de sa SCIE de charpentier. Joseph a su cultiver en lui le Silence, la Chasteté, l’Intériorité, et l’Energie.

 

Le silence et l’Intériorité vont bien ensemble. Commençons par le silence. Si les évangiles ne rapportent pas une seule parole de Joseph, ce n’est pas parce qu’il était muet, mais parce qu’il ne parlait pas pour ne rien dire. Il avait compris ce que saint Jacques écrira dans sa lettre : « chacun doit être prompt à écouter, lent à parler » (Jc 1,19) et aussi : « un tout petit feu peut embraser une très grande forêt. La langue aussi est un feu…elle enflamme le cours de notre existence, étant elle-même enflammée par la géhenne… Elle nous sert à bénir le Seigneur notre Père, elle nous sert aussi à maudire les hommes, qui sont créés à l’image de Dieu » (Jc 3,5-6.9) Le Seigneur, quand Il parle, crée : « Il dit… et cela fut. » (Gn 1) Et quand Il voulut recréer le monde déchu, « le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14) Le proverbe « La parole est d’argent, mais le silence est d’or » signifie que la parole a d’autant plus de force lorsqu’elle surgit du silence, autrement elle risque de devenir verbiage. Les grands orateurs le savent, qui émaillent leurs discours de silences.

Le silence aide l’homme à parler à bon escient, mais aussi à cultiver son intériorité. Jésus dit à Jude, lors de son dernier repas : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (Jn 14,23) Et le même auteur écrit dans l’Apocalypse : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Ap 3,20) La vie intérieure de Joseph devait être très riche, car il laissait le Seigneur demeurer en lui.

A l’occasion de sa visite à la basilique de l’Annonciation à Nazareth, le 5 janvier 1964, le pape Paul VI disait : « Que renaisse en nous l’estime du silence, cette admirable et indispensable condition de l’esprit ; en nous qui sommes assaillis par tant de clameurs, de tracas et de cris dans notre vie moderne bruyante et hyper sensibilisée. Ô silence de Nazareth, enseigne-nous le recueillement, l’intériorité, la disposition à écouter les bonnes inspirations et les paroles des vrais maîtres ; enseigne-nous le besoin et la valeur des préparations, de l’étude, de la méditation, de la vie personnelle et intérieure, de la prière que Dieu seul voit dans le secret ». Un demi-siècle plus tard, cette prière prend encore davantage de sens, dans notre société hyper connectée où nous sommes souvent agressés de bruits et tentés sans cesse de nous « brancher » sur tel ou tel media. La période de confinement que nous vivons peut nous redonner le goût du silence. Et grâce à lui, nous pouvons mieux cultiver notre intériorité. Beaucoup de personnes se sentent « vides » parce qu’elles n’ont pas trouvé de sens à leur vie, et elles sont tentées de sans cesse se divertir. Dans ses Pensées, Pascal écrit, il y a 4 siècles déjà : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser » et encore : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ».

 

En plus de cultiver le silence et l’intériorité, Joseph est un homme chaste. Enzo Bianchi, fondateur du monastère de Bose, écrit : « L’étymologie nous suggère que le chaste (castus) est celui qui refuse l’inceste (in-castus). Le non-chaste, à sa racine, est l’incestueux. Le chaste vit ses relations en acceptant la distance et en respectant l’altérité (qui ne se réduit pas à la différence). Le non-chaste ne cherche pas la relation, mais la fusion et la con-fusion qui définissent normalement l’inceste… La chasteté refuse le caractère fusionnel du ‘tout, tout de suite’… Elle nous rappelle que l’amour est aussi ascèse, fatigue, travail, et qu’il exige une purification pour devenir intelligent et respectueux de l’autre et de son mystère, pour viser vraiment le bien de l’autre ». Et Rilke ajoute : « Il n’y a rien de plus ardu que de s’aimer. C’est un vrai travail, à reprendre sans cesse. Les jeunes, d’ailleurs, ne sont absolument pas préparés à cette difficulté de l’amour; de cette relation extrême et complexe, les conventions ont tenté de faire un rapport facile et léger, elles lui ont conféré l’apparence d’une chose à la portée de tous. Et il n’en est pas ainsi. L’amour est une chose difficile ! »

Joseph a été chaste par rapport à Marie, qu’il a respectée alors même qu’elle semblait l’avoir trahi : s’il voulait « la renvoyer en secret » (Mt 1,19), c’était pour lui éviter la lapidation. Et nul doute qu’il a continué d’être chaste avec elle après l’avoir pris chez elle. Même si la façon dont ils ont vécu était « singulière », rappelons que n’importe quel couple est appelé à vivre dans la chasteté, non pour s’interdire les relations sexuelles, mais pour les vivre dans un esprit de respect mutuel profond…

Joseph a été chaste aussi vis à vis de Dieu Lui-même. Sa décision de renvoyer Marie s’explique peut-être aussi parce qu’il avait compris qu’Il était intervenu et il se sentait indigne de s’approcher de Marie dans ces conditions, comme Moïse qui retira ses sandales devant le buisson ardent (Ex 3).

Enfin, Joseph a été chaste par rapport à Jésus : quand celui-ci avait 12 ans, il l’a respecté lorsqu’au Temple, il a dit à Marie qui lui reprochait de les avoir fait souffrir en le cherchant : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » (Lc 2,49) Un autre que lui aurait pu se mettre en colère contre Jésus, et lui imposer ses propres vues…

 

Enfin, Joseph a fait preuve de beaucoup d’Energie. Il n’est pas un homme falot comme certains peintres l’ont représenté, mais un homme d’action qui a su agir avec force et détermination quand il le fallait. Lorsque l’ange lui apparaît et lui dit : « ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse »,  il fait immédiatement ce que l’ange lui a prescrit. Plus tard, lorsqu’il lui est demandé de fuir en Egypte à cause de la fureur du roi Hérode, il « se lève dans la nuit » et part. Plus tard encore, lorsque l’ange l’appelle à rentrer en Israël « car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant », il « se lève » à nouveau et rentre (Mt 1&2). Aucun retard, aucune paresse, mais une obéissance active… Ajoutons que Joseph a dû faire preuve aussi d’énergie dans son travail de charpentier, qui peut être éprouvant physiquement.

 

Alors, frères et sœurs, utilisons nous-mêmes la SCIE de saint Joseph. Profitons de la période de confinement qui nous est donnée pour cultiver en nous le Silence, la Chasteté et l’Intériorité, et pour renouveler notre Energie. C’est ainsi que nous pourrons rebâtir notre maison, non avec des planches mais avec des vertus solides. Elles nous permettront de mieux accueillir en nous Celui qui veut demeurer dans notre cœur comme dans un Temple.  Saint Joseph, priez pour nous !

P. Arnaud