Ne vivez pas comme des fous
Frères et sœurs, voulons-nous être des sages ? Saint Paul nous y exhorte : « Ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. Tirez parti du temps présent, car nous traversons des jours mauvais. » (2° lect.) En rejetant Dieu et en idolâtrant les biens de ce monde, notre société nous pousse plus à être des « insensés » que des sages. Elle promeut toujours plus le savoir (qu’on peut obtenir en cliquant sur notre smartphone) mais toujours moins la sagesse. Pas étonnant que beaucoup de nos contemporains éprouvent du mal-être. Dans la Bible au contraire, la sagesse est un bien infiniment précieux, qui nous fait penser et vivre comme Dieu lui-même. Elle est synonyme d’opulence et de bien-être : « La Sagesse a bâti sa maison, elle a taillé sept colonnes. Elle a tué ses bêtes, et préparé son vin, puis a dressé la table. » (1° lect.) Le sage est celui qui possède un savoir-faire, comme les artisans appelés à bâtir le Temple, ou un savoir-discerner, comme le roi Salomon qui l’avait demandé au Seigneur au moment de son avènement. Elle n’est pas réservée aux membres du peuple élu : Jéthro, le beau-père de Moïse, en fait preuve lorsqu’il lui conseille de choisir des hommes pour le seconder dans sa tâche de gouvernement. En latin, « sapientia » a la même racine que « sapere », qui signifie « savoir » mais aussi « goûter » (d’où le mot « saveur »). Pourtant, il semble que le Christ fasse partie des insensés. Comment peut-il notamment affirmer : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous » ? Cette parole fut si rude à entendre que « à partir de ce moment beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner » (Jn 6,66). Et plus tard, certains dans l’empire romain ou parmi les réformés au XVI° siècle considérèrent les catholiques comme des anthropophages … Mais « pour ceux que Dieu appelle, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1Co 1,24-25). Alors, comment pouvons-nous devenir nous-mêmes des sages (et donc des vivants), quitte à être considérés comme des fous par le monde ? La Bible répète à l’envi que « la Sagesse commence avec la crainte du Seigneur ». Cette crainte (premier don du Saint-Esprit) nous permet de lui obéir avec une totale confiance, même lorsque nous sommes devant un mystère qui nous dépasse. Or, le Christ lui-même nous invite à participer à la messe : « Ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et le leur donna, en disant : ‘Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi’. » (Lc 22,19) Pourquoi la messe nous rend-elle sages ? Parce qu’elle est à la fois un repas et un sacrifice. Le repas, qui nous permet de « manger » le Christ (dans sa Parole d’abord, dans son Corps eucharistique ensuite) nous donne des forces spirituelles. Mais la messe, qui rappelle toujours le sacrifice du Christ sur la Croix, nous invite aussi à nous offrir avec lui.
Pour commencer, le Christ nourrit notre intelligence pendant la messe grâce à la liturgie de la Parole. Saint Paul écrit aux Ephésiens : « Ne soyez donc pas insensés, mais comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur. » (2° lect.) Dimanche après dimanche, jour après jour, l’écoute des textes bibliques nous donne d’entrer de plus en plus profondément dans le mystère du dessein de Dieu, dans sa manière de penser et d’agir. La Parole de Dieu est comme une nourriture qui nous façonne : « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.» (Mt 4,4) Peu importe si nous ne comprenons pas tout : tout comme notre corps rejette une partie de la nourriture qu’il a absorbée, notre esprit fait de même, mais ce que nous assimilons nous permet de grandir et d’avancer.
Alors que la Parole de Dieu nourrit notre intelligence, l’eucharistie nourrit notre corps et notre cœur. Jésus dit : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » et aussi : « ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson ». Ces paroles sont tellement fortes que nous pouvons comprendre que beaucoup de personnes, pourtant attirées par le Christ, ne parviennent pas à le suivre jusque-là, comme les disciples en Jn 6. N’oublions que dans le passage qui précède celui de ce dimanche (que nous avons entendu dimanche dernier), Jésus a dit : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6,44). La foi est d’abord et avant tout un don de Dieu.
La messe est donc un repas, mais elle est aussi un sacrifice, qui nous invite à nous offrir nous-mêmes avec le Christ. A quoi servirait-il de prendre trois repas par jour si c’était pour demeurer prostrés dans notre logement ? De même, à quoi servirait-il de reprendre des forces à la messe si c’était pour vivre égoïstement ensuite ? Saint Paul écrit aux Romains, en écho à ce qu’il nous a dit dans la deuxième lecture (« comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur ») : « Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.» (Rm 12,1 2) L’offrande de nous-mêmes en sacrifice va de pair avec le renouvellement de notre façon de penser et donc avec la Sagesse.
Mais que signifie « offrir sa vie en sacrifice » ? Pour certains, ce peut être le martyre, lorsqu’il s’agit de témoigner du Christ face à des adversaires. Mais pour la majorité d’entre nous, il n’y a pas d’adversaires – au moins jusqu’au point d’en vouloir à notre vie – mais il y a toujours l’adversité, c’est-à-dire les épreuves que nous rencontrons sans cesse. C’est alors que nous pouvons offrir au Seigneur un sacrifice de louange, comme Paul nous y invite : « Dites entre vous des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur. À tout moment et pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, rendez grâce à Dieu le Père. » (2° lect.) Comme disait la petite Thérèse, « tout est grâce ». Le véritable sage sait rendre grâce en toute circonstances, même dans les épreuves. La Sagesse divine est joyeuse.
Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous appelle à être des sages, c’est-à-dire à goûter la vie et à la transformer. Reconnaissons que parfois, nous nous conduisons comme des « étourdis », et répondons à l’appel de la Sagesse : « À qui manque de bon sens, elle dit : ‘Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé’ ». En devenant des sages, nous devenons des vivants. Dans l’évangile que nous venons d’entendre, les mots « vie », « vivre » et « vivant » reviennent sans cesse . Le sage vit de la vie-même de Dieu, qui est la vie éternelle, c’est-à-dire une vie intense, remplie d’Amour. La participation à la messe peut nous aider à devenir des sages. Mais c’est chaque jour que nous devons écouter la Parole de Dieu et Lui offrir le sacrifice de louange. Les personnes sages et heureuses ne sont pas celles qui se gardent de tout danger, mais celles qui savent se laisser guider par l’Esprit pour servir les autres. Cependant, n’oublions pas que l’on ne grandit pas instantanément et qu’il nous a fallu nous nourrir pendant des années pour atteindre notre taille adulte. De même, la nourriture eucharistique nous fait grandir, mais nous n’atteindrons la plénitude de la Sagesse que lorsque nous serons au Ciel. Cette semaine, pensons et agissons avec Sagesse, afin de goûter le bonheur de vivre !