Ne nous trompons pas de combat !
Frères et sœurs, quels sont nos combats ? Parce que le monde est loin de ressembler au Royaume de Dieu auquel nous aspirons tous, le combat contre le mal n’est pas une option, mais une nécessité. Certains combattent leurs semblables avec violence, tout en faisant preuve de beaucoup de complaisance envers eux-mêmes. Le Seigneur Jésus nous appelle à une attitude radicalement opposée : à faire preuve de miséricorde par rapport aux autres, tout en étant exigeants par rapport à nous-mêmes. « Le royaume de Dieu souffre violence et ce sont les violents qui s’en emparent » (Mt 11,12). Nous devons tourner notre violence contre nous-mêmes, ou plutôt contre le péché et contre nos mauvais penchants qui peuvent y mener. C’est ce qu’on appelle le combat spirituel. Dans l’évangile de ce dimanche, Jean fait preuve de sectarisme : il veut empêcher d’agir celui qui chasse les esprits mauvais sans faire partie du groupe des disciples. Il est atteint d’une maladie à la fois grave et très répandue, celle de la jalousie. Quelque temps plus tôt, juste après l’épisode de la Transfiguration, lui et les autres disciples ont cherché à chasser un esprit mauvais, et ils n’ont pas réussi (cf Mc 9,18). Et voilà que cet homme, qui n’a pourtant pas reçu autant d’enseignements du Maître, y parvient ! La réaction de Jean ressemble à celle de Josué, qui voulait arrêter Eldad et Medad de prophétiser parce qu’ils n’étaient pas venus à la tente de la Rencontre et avaient pourtant reçu l’Esprit du Seigneur. Moïse avait manifesté son humilité et sa largeur de vue en répondant : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! puisse tout le peuple de Yahvé être prophète, Yahvé leur donnant son Esprit ! » (1° lect.) De manière semblable, Jésus répond à Jean : « Ne l’en empêchez pas, car il n’est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt après parler mal de moi. Qui n’est pas contre nous est pour nous. » Mais Jésus va plus loin que Moïse : après avoir invité ses disciples à la magnanimité (étymologiquement, à agrandir leur âme), il les exhorte à déplacer le combat en eux-mêmes, contre tout ce qui les empêche de vivre selon l’évangile Méditons maintenant sur ces deux attitudes auxquelles le Seigneur nous appelle, d’abord l’ouverture aux autres, ensuite la lutte contre le péché.
« Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. » Pour commencer, le Christ veut élargir notre cœur. A Nicodème, il avait déclaré : « Le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. » (Jn 3,8) L’homme a tendance à s’enfermer dans des opinions rigides et sectaires. La tentation de juger les autres guette tous les hommes, mais surtout les croyants, précisément parce qu’ils croient posséder la Vérité. C’est particulièrement vrai à notre époque, qui a érigé les déesses relativisme et tolérance sur un piédestal. « Chacun fait ce qui lui plaît et pense ce qu’il veut », voilà quel pourrait être son « évangile ». Nous les croyants, nous ne pouvons certes pas accepter certaines manières d’agir et de penser, mais nous devons aussi reconnaître ce qui est bon dans notre société, et dans le cœur des personnes que nous rencontrons, croyants ou non-croyants. Nous devons juger les actes et les paroles, mais sans juger les cœurs, car seul le Seigneur en est capable, lui qui « mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et fera paraître les intentions secrètes » (1 Co 4,5) lors de son retour. Comme l’ont souligné les pères du concile Vatican II, dans la constitution Gaudium et Spes : « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (§22). Le chrétien ne possède pas la Vérité, qui est le Christ, il cherche à se laisser « posséder » par elle. Plutôt que « hors de l’Eglise point de salut », nous devrions dire « hors de l’Eglise point de Sauveur », conscients de nos propres errances.
En plus de nous appeler ainsi à ne pas rejeter les autres, le Seigneur nous exhorte à rejeter de nos cœurs notre véritable ennemi : le péché, et tout ce qui y conduit. Chaque année à la vigile pascale, reprenant les promesses de notre baptême, nous professons non seulement notre Foi, mais aussi notre engagement à refuser Satan, le péché, et tout ce qui y conduit. Blanche de Castille avait éduqué son fils, le futur saint Louis, selon le principe : « plutôt mourir que pécher ».Saint Jacques, d’une façon extraordinairement virulente, a condamné le comportement de certains riches, apparemment membres de la communauté chrétienne : « Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites […] Des travailleurs ont moissonné vos terres, et vous ne les avez pas payés […] Vous avez recherché sur terre le plaisir et le luxe, et vous avez fait bombance pendant qu’on massacrait des gens. » (2° lect.) Avant lui, c’est Jésus lui-même qui a fait preuve du plus grand radicalisme : « si ta main t’entraîne au péché, coupe-la. […] Si ton pied t’entraîne au péché, coupe-le. […] Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le ». Car il vaut mieux entrer manchot, estropié ou borgne dans le royaume de Dieu que d’être jeté avec tous ses membres dans la géhenne, « là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.» Avec mes mains je peux frapper l’autre, ou le saluer et le soutenir. Avec mes pieds, je peux donner des coups aux autres, les fuir, ou au contraire aller vers celui qui a besoin de moi. Avec mes yeux je peux juger l’autre, convoiter ce qui ne m’appartient pas, ou contempler la présence de Dieu en l’autre et en la création… Dans notre société de consommation qui nous sollicite sans cesse, nous sommes appelés non à nous estropier, mais à jeûner de nos différents sens.
Le combat contre le péché nous concerne personnellement, mais aussi collectivement. Lorsqu’un membre d’un corps est gangrené, il faut le couper pour éviter que le corps entier ne soit contaminé et ne meurt. De même, lorsque nous péchons, nous contaminons le Corps entier de l’Eglise, surtout les membres les plus fragiles, les « petits » dans la Foi. Par ailleurs, certaines de nos actions peuvent ne pas être mauvaises en soi, mais entraîner d’autres à pécher, ou du moins à se scandaliser. Le « scandale » (skandalon en grec, qui apparaît 4 fois dans l’évangile d’aujourd’hui et est traduit par « occasion de chute »), déstabilise le « petit dans la foi » et risque de le faire chuter. C’est pourquoi Jésus a là aussi des paroles radicales : « Celui qui entraînera la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. » Dans une de ses lettres (1Co 8), Paul explique que même s’il pourrait manger des viandes immolées aux idoles, il préfère l’éviter pour ne scandaliser personne. Comme on est loin de notre société, où beaucoup cherchent à créer des scandales pour se faire connaître !
Dans ce combat radical contre le péché, prenons exemple sur les saints, en particulier ceux que nous allons fêter bientôt, Thérèse de Lisieux le 1er octobre, et François d’Assise le 4. Un jour où il était assailli par les tentations de la chair, le poverello s’était jeté dans un buisson d’épines, comme l’avait fait saint Benoît avant lui, ce qui les a délivrés. Quant à Thérèse, elle aussi savait « se vaincre » pour demeurer charitable et souriante envers les sœurs qui ne l’étaient pas, mais lorsqu’elle sentait qu’elle n’y parviendrait pas, elle préférait « fuir » par humilité, plutôt que pécher.
Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous appelle à savoir reconnaître et accueillir son Esprit qui « souffle où il veut » et à rejeter l’esprit du mal, notre véritable ennemi, avant tout en nous-mêmes mais aussi en nos frères, en veillant à ce qu’il ne pénètre pas dans leur cœur, particulièrement s’ils sont « petits dans la foi ». Sainte Thérèse de Lisieux et François d’Assise, priez pour nous !
P. Arnaud