Il n’est pas bon que l’homme soit seul
Frères et sœurs, comment améliorer le monde ? Nous concluons aujourd’hui le temps de la Création, lancé par le Pape François après la parution de son encyclique Laudato Si[i]. Si Dieu s’est reposé le 7ème jour, c’est non seulement parce qu’Il voulait nous donner l’exemple (c’est pourquoi nos frères juifs se reposent le samedi et les chrétiens le dimanche) mais aussi et même d’abord parce qu’Il voulait donner à l’homme la possibilité de parfaire sa création. Tout ce qu’Il a créé est parfait, mais avec en même temps une sorte d’incomplétude. C’est particulièrement vrai de l’homme, qu’il a créé « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1,27), ce qui signifie qu’il doit parcourir tout un chemin pour atteindre sa plénitude, qui consiste à la pleine participation à la vie divine. Comment pouvons-nous y parvenir ? En vivant en communion les uns avec les autres. Nous venons de l’entendre : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (1° lect.) Cette parole ne signifie pas que nous devons fuir la solitude, au contraire. Seul celui qui est capable de la vivre est capable de se connaître et de se ressourcer afin de créer des relations de fraternité avec les autres. Blaise Pascal a souvent dénoncé le divertissement, cette tentation de l’homme de se fuir soi-même pour ne pas répondre aux questions essentielles et pour ne pas se convertir. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » pointe vers l’égoïsme, l’égocentrisme, l’individualisme, tous ces « ismes » qui nous mettent au centre du monde et nous replient sur nous-mêmes. Le Seigneur, lui, nous appelle à la fraternité, à la communion les uns avec les autres. Cette communion ne supprime pas les différences, au contraire, car celles-ci sont autant de richesses si elles sont offertes et accueillies dans un esprit de complémentarité. « Je te donne toutes mes différences, tous ces défauts qui sont autant de chance » chantait même Jean-Jacques Goldman. La communion peut être bâtie à plusieurs niveaux. D’abord avec le Seigneur lui-même, qui nous a créés. Ensuite avec le prochain, qui est pour moi un frère ou une sœur. Enfin avec les autres créatures, qui attendent « avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,19). Méditons sur chacune de ces dimensions de la communion, en l’illustrant par des exemples de la vie de saint François, que nous avons fêté vendredi.
Pour commencer, nous sommes appelés à la communion avec Dieu lui-même. C’est le sens de la parole de Jésus : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » (Mc 10,14-15) La caractéristique de l’enfant, ce n’est qu’il soit parfait et saint, c’est qu’il sait dépendre de ses parents, sans qui il ne pourrait vivre. C’est cette attitude d’abandon confiant que le Seigneur nous propose, lui qui s’est révélé comme un Père plein d’amour, toujours prêt à nous nourrir, nous guider, nous pardonner…
Saint François a su cultiver cet abandon confiant. Il l’a exprimé de façon éclatante le jour où il a ôté ses vêtements pour les rendre à son père de la terre, qui avait décidé de le traduire devant le tribunal de l’évêque pour obtenir un renoncement solennel à l’héritage familial. C’était une façon de signifier que son véritable Père était Celui des Cieux, dont il voulait désormais tout recevoir.
Ensuite, nous sommes appelés à la communion avec notre prochain. C’est le couple qui représente le mieux cette vocation. Comme Jésus le rappelle aux Pharisiens : « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. » (Mc 10,6-8) Plus tard, saint Paul écrira que cette union entre l’homme et la femme symbolise celle entre le Christ et l’Eglise (Ep 5,32), et donc d’une certaine façon entre Dieu et l’humanité. C’est parce qu’elle est si importante que Jésus ajoute : « Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » La répudiation et le divorce ne sont que des réponses à la dureté du cœur de l’homme, mais contredisent le plan divin.
Saint François ne s’est pas marié, puisqu’il a épousé « Dame Pauvreté », mais il a su travailler au règne de Dieu avec les autres. Non seulement sainte Claire, qu’il aimait avec beaucoup de tendresse, mais aussi ses frères mineurs avec lesquels il vivait chaque jour.
Enfin, nous sommes appelés à la communion avec les autres créatures. Souvenons-nous que « la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (Rm 8,20-21). Certes, Dieu a fait de l’homme le maître de la création et lui a commandé de remplir la terre et de la soumettre (Gn 1,28). Mais il s’agit là d’une mission de service, comme toutes les autres où on reçoit un pouvoir : « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave » (Mt 20,26-27). Nous sommes appelés à servir les autres créatures, tout comme elles nous servent, mais chacun avec sa responsabilité. La nôtre est de « travailler et garder » le jardin d’Eden (Gn 2,15) c’est-à-dire de rendre le monde plus beau et de le protéger des forces destructrices. Laissée à elle-même, la création reste sauvage, avec une part de beauté mais aussi beaucoup de violence et de cruauté. C’est pourquoi le prophète Isaïe a décrit ainsi le Royaume de Dieu : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira.» (Is 11,6). Outre cette mission de service mutuel, la communion avec les autres créatures passe par la contemplation. En voyant leur beauté, nous pouvons rendre grâce au Créateur et nous adoptons son regard, lui qui « vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon » (Gn 1,31)
Saint François a su parfaitement vivre en communion avec les autres créatures. Dans son fameux cantique, il loue le Seigneur pour « frère soleil », « sœur lune », « frère vent »… En même temps, il sut se montrer leur maître quand il le fallait, notamment avec ce loup qui terrorisait tout une vallée, et qu’il sut apprivoiser. Et il sut également travailler la création, notamment en cherchant des pierres qu’il utilisa pour reconstruire des églises en ruine.
Ainsi, l’amélioration de notre monde n’est possible que si nous travaillons en communion avec le Seigneur, les uns avec les autres et avec les autres créatures. L’encyclique Laudato Si souligne la complémentarité de ces trois aspects. Ce travail peut être douloureux parfois. En effet, « Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut » (2° lect.) Ce qui est vrai pour le Fils unique l’est à fortiori pour les fils adoptifs que nous sommes. Si lui a dû passer par la souffrance pour parvenir à sa perfection, que dire de nous, qui sommes tellement grevés par les conséquences du péché ! Bâtir un monde juste et fraternel exige une transformation des mentalités et des façons de vivre qui peut occasionner des souffrances, mais celles-ci ressemblent à celles d’une femme qui met au monde en enfant (Jn 16,21). Alors, prenons courage pour améliorer notre monde et transformons-le en ce Royaume où Dieu sera tout en tous (1Co 15,28) !
P. Arnaud
[i] Instituée par le Pape François en 2015, la Journée Mondiale de Prière pour la Sauvegarde de la Création, d’abord appelée « Saison de la Création » (2019-2020) s’est transformé en « Temps pour la Création » dès 2021. Cette journée est célébrée dans le monde entier par les communautés chrétiennes du 1er septembre au 4 octobre.