Avançons au large !

Frères et sœurs, comment faire pour que tous les hommes soient sauvés ? Certes, nous pouvons rendre grâce au Seigneur d’avoir la Foi, qui nous permet d’espérer la vie éternelle si nous agissons selon l’esprit de l’évangile, mais nous ne pouvons pas nous contenter de notre salut personnel, comme si les autres n’existaient pas. Saint Dominique était le plus joyeux de tous le jour, mais il passait ses nuits à prier Dieu en disant : « Que vont devenir les pécheurs » ? Nous-mêmes, comment pouvons-nous rester indifférents à la misère pas forcément matérielle mais spirituelle de ceux qui se perdent dans l’océan des péchés de notre monde[i] ? Pêcher des hommes, comme Jésus le demande à Simon-Pierre et à ses apôtres, c’est les sauver de la mort spirituelle, leur donner de respirer le grand air de la vie éternelle. Mais avant qu’ils quittent tout pour accomplir cette mission, il a fallu 3 étapes, les 3 C, comme nous allons le voir à travers les 3 personnages que nous présentent les lectures de ce dimanche (le prophète Isaïe, saint Paul et saint Pierre). D’abord la Confiance pour répondre à l’appel de Dieu ; ensuite la Crainte pour accueillir son pardon ; enfin la Charité pour travailler avec la communauté des croyants au salut de tous les hommes.

 

Pour commencer, nous devons faire Confiance à Dieu pour répondre à ses appels. Dans tous les cas, c’est Lui qui a l’initiative. C’est parce que l’Esprit a saisi Isaïe qu’il a reçu une vision divine, tellement belle que nous en faisons mémoire dans chaque messe au moment du sanctus (1° lect.). C’est parce que le Christ est apparu à Saul sur le chemin de Damas qu’il a pu se convertir (2° lect.). C’est parce que Jésus a invité Simon à avancer au large et à jeter ses filets qu’il a pu assister au miracle de la surabondance des poissons (év.). Mais dans tous les cas aussi, la réponse de l’homme est nécessaire. Isaïe aurait pu rester tranquillement chez lui. Saul aurait pu durcir son cœur après l’apparition reçue, comme Pharaon l’avait fait au temps de Moïse. Simon aurait pu refuser d’obéir à Jésus, qui n’avait pas son expérience de pêcheur, et qui lui demandait un nouvel effort alors que le jour est normalement moins propice à la pêche que la nuit[ii]. Mais tous les trois ont fait Confiance au Seigneur[iii], comme Il leur avait d’abord témoigné la sienne. C’est alors qu’Il s’est manifesté à eux dans toute sa magnificence. Isaïe a contemplé le chœur des séraphins chantant la gloire de Dieu.  Saul a vu le Christ ressuscité. Simon a vu le plus grand spectacle de toute sa carrière de pêcheur.

 

Ensuite, nous devons Craindre le Seigneur pour accueillir son pardon. Après avoir contemplé le Seigneur se manifester dans sa gloire, quelle a été la réaction des trois hommes ? Tous ont pris conscience de leur indignité. Isaïe s’écrie : « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures ; et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! » Saul écrit aux Corinthiens qu’il est un « avorton », ajoutant : « je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu ». Et Simon, à la vue des deux barques qui enfonçaient, tombe aux pieds de Jésus, en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur ». Lorsque la lumière survient dans un lieu obscur, elle fait apparaître ce qui était caché. Lorsque l’homme est mis en présence de Dieu, il prend conscience de son péché et de sa petitesse. Ce sentiment est un don de l’Esprit Saint, auquel on donne le nom de « Crainte ». Elle est synonyme de respect, d’émerveillement, d’adoration. La Bible, les livres de sagesse en particulier, soulignent souvent son importance. Elle est considérée comme le principe même de la sagesse (cf Pr 9,10), contrairement à la peur qui éloigne. Elle permet d’être en vérité devant Dieu, dans une attitude humble qui correspond à notre condition de créatures.

Après avoir vu la réaction des hommes devant la manifestation de Dieu, on pourrait dire devant son épiphanie, observons maintenant sa réaction, comme dans un jeu où chacun des partenaires joue à son tour. Lorsque l’homme a pris conscience de son indignité, le Seigneur le relève aussitôt. Après avoir approché un charbon brûlant de la bouche d’Isaïe, un séraphin lui déclare : « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné ». A Saul qui était à terre, le Ressuscité demande : « Relève-toi et entre dans la ville : on te dira ce que tu dois faire » (Ac 9,6). A Simon qui était tombé à ses pieds, Jésus dit : « Sois sans crainte ». Tous les trois ont accueilli le pardon du Seigneur et se sont relevés.

 

Enfin nous devons faire preuve de Charité pour travailler avec la communauté des croyants au salut de tous les hommes. Le Seigneur demande à Isaïe : « Qui enverrai-je ? Qui sera notre messager ? », et le prophète répond immédiatement : « Me voici, envoie-moi. » Mais nous savons qu’il n’a pas agi seul puisque lui-même évoque ses disciples (Is 8,16) et qu’on distingue 3 parties dans son livre (ch.1-39, ch.40-55, ch.56-66) rédigés probablement par 3 auteurs différents. Saul, lui aussi, a été envoyé par le Seigneur pour annoncer la Bonne Nouvelle aux peuples païens, comme il le fait avec les Corinthiens (« je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu… »), mais il a très vite choisi des collaborateurs, notamment Luc, Sylvain, Tite et Timothée. Quant à Simon-Pierre, à qui Jésus déclare « désormais ce sont des hommes que tu prendras », il ne les prendra pas seul, mais avec les autres disciples (tout comme il n’a pas pu ramener avec sa seule barque la multitude de poissons qui étaient dans les filets, et qu’il a demandé de l’aide aux compagnons de l’autre barque). Or, la barque est l’un des symboles de l’Eglise, qui veut nous sortir de l’eau pour nous mener jusqu’à la rive du Royaume de Dieu. Ainsi, une paroisse ne peut agir sans les autres paroisses, un mouvement sans les autres mouvements, un diocèse sans les autres diocèses, les catholiques sans les orthodoxes et les protestants… Nous les chrétiens, nous ne pouvons réussir notre mission que si nous sommes unis les uns aux autres. Le Seigneur a besoin nous tous ! La Charité est donc ce qui nous pousse à suivre le Christ (« laissant tout, ils le suivirent »), à vivre en communion avec nos frères et sœurs baptisés, et à pêcher ceux et celles qui se noient dans l’océan de notre monde pour les conduire avec nous dans la barque de l’Eglise jusqu’au rivage du Royaume de Dieu.

 

Alors, voulons-nous être pêcheurs d’hommes, comme le Seigneur nous y appelle ? Si nous acceptons son appel, il fera grandir en nous la Confiance (synonyme de la Foi), la Crainte (traditionnellement rattachée à l’Espérance) et la Charité. En particulier, c’est dans chaque Eucharistie que le Seigneur les suscite en nous. Confiance de croire que nous ne perdons pas notre temps en répondant à son appel de venir à l’église ; Crainte de Lui lorsque nous reconnaissons humblement nos péchés : « Seigneur prends pitié, kyrie eleison », puis plus tard : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri » ; Charité qui nous donne de vivre la célébration non de façon individualiste mais dans un esprit de communion, et d’en repartir avec le désir d’œuvrer au salut des personnes que nous rencontrerons sur notre route. Pour y parvenir, nous devons plus que jamais faire preuve d’audace et de créativité. N’est-ce pas cela, avancer au large ? Demandons à Isaïe, Paul et Pierre d’intercéder pour nous afin que nous acceptions comme eux de laisser les filets de nos sécurités et de nos habitudes pour suivre le Christ et pour rassembler nos contemporains dans ses filets à lui.

P. Arnaud

[i] Pour les Juifs, qui ne sont pas un peuple marin, la mer est le symbole de la mort.

[ii] S’il a accepté, c’est parce qu’il avait d’abord entendu Jésus, d’abord au bord du Jourdain (cf Jn 1) puis lorsqu’il parlait à la foule « tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth ». L’écoute précède la vision.

[iii] Comme les serviteurs à Cana à qui Jésus avait demandé de remplir d’eau les jarres (cf Jn 2,7).