Pourquoi êtes-vous si craintifs ?
Frères et sœurs, comment passer de la peur à la confiance ? La réponse est simple : par la foi. Le contraire de la foi n’est pas l’athéisme, mais justement la peur. Le mot foi, fides en latin, peut se traduire aussi par la confiance (d’où les mots fidélité ou se fier à quelqu’un). Dans le passé, on appelait ceux qui n’avaient pas la foi les infidèles… L’être humain, parce qu’il est fragile, est souvent tenté par la peur. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il est confronté à des tempêtes, face auxquelles il se sent impuissant. La période que nous traversons est peuplée de tant d’incertitudes (sur les plans politique, social, économique, environnemental…) que nous avons peut-être le sentiment d’être au milieu ou au commencement d’une grosse tempête. Pour la première fois peut-être dans l’histoire des hommes, la foi dans le progrès a disparu et on craint que l’avenir soit moins bon que le passé. Aussi, le Christ nous dit, comme aux disciples dans la barque : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » L’exhortation « N’ayez pas peur », avant d’être le « programme » du pape saint Jean-Paul II, est un leitmotiv de la bible, que même ses plus grands personnages ont dû faire leur. Pensons à la Vierge. Au moment de l’Annonciation, l’ange Gabriel lui dit : « Sois sans crainte, Marie » alors qu’elle est « toute bouleversée » (Lc 1,29). Et après la « fugue » de Jésus au Temple, elle lui exprime sa souffrance et son incompréhension (Lc 2,48) … Marie a traversé bien des tempêtes, mais elle est toujours demeurée dans la confiance en Dieu : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » (Lc 1,38) Jésus lui-même a été saisi par l’angoisse à Gethsémani, mais il a dit à son Père : « Que se fasse non pas ma volonté, mais la tienne » (Lc 22,42). Comment passer nous aussi de la peur à la confiance ? Le mieux est de regarder le Christ dans la barque. Comme lui, nous devons d’abord dormir, c’est-à-dire nous abandonner entre les bras du Père. Ensuite, nous devons menacer le vent et la mer, c’est-à-dire lutter contre le mal.
Pour commencer, nous devons apprendre à dormir. Pourquoi tant de personnes souffrent-elles d’insomnies, et nous aussi parfois peut-être ? Parce que nous nous laissons dominer par nos soucis, qui se transforment souvent en peurs. Dans la parabole du semeur qui précède de peu le récit de la tempête apaisée, Jésus a dit que chez certains, « les soucis du monde les envahissent et étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit » (Mc 4,19) … Certes, il existe un sommeil de la fuite, comme celui de Jonas dans le bateau lui aussi dans la tempête, ou celui des apôtres à Gethsémani. Mais il existe aussi un sommeil d’abandon, tel que celui des enfants dans les bras de leurs parents. « Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (Ps 126,2) Les disciples sont anxieux dès le départ car ils vont vers l’autre rive, celle des païens qu’ils voient comme des ennemis… Si Jésus est capable de dormir dans la barque au milieu de la tempête, ce n’est pas seulement parce qu’il est très fatigué par son ministère harassant, c’est parce qu’il s’abandonne totalement dans les bras de son Père. Ce sommeil est aussi une allusion à la mort qu’il va bientôt affronter, comme en témoigne le mot utilisé pour signifier son réveil : « diégertheis », souvent utilisé pour dire « ressuscité ». Jésus sait que son Père est Tout-Puissant et qu’aucun mal ne peut arriver à ses enfants, comme il l’avait dit plus tôt : « Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. » (Mt 10,29‑31) Saint Paul l’a exprimé d’une autre façon : « Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour… Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8,28-31) La petite Thérèse le redira à sa manière : « Tout est grâce ».
Comment nous abandonner entre les mains de Dieu ? En contemplant sa Toute-Puissance. C’est ce que Dieu invite Job à faire, alors qu’il traverse la plus terrible des tempêtes, qui lui a fait perdre d’abord tous ses proches, puis sa santé elle-même. Il se sent abandonné dans sa terrible épreuve, comme les apôtres qui s’adressent à Jésus avec un ton de reproche : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » En lui demandant « qui donc a retenu la mer avec des portes, quand elle jaillit du sein primordial ; quand je lui imposai ma limite, et que je disposai verrou et portes ?» (1° lect.), Dieu lui fait prendre conscience qu’Il est à la fois le Créateur et le Rédempteur, plus fort que toute espèce de mal. A fortiori nous aussi, qui ne souffrons sans doute pas autant que Job, n’ayons plus nos vies centrées sur nous-mêmes, mais sur le Christ, qui est mort et ressuscité pour nous (2° lect.)
Mais l’abandon entre les mains de Dieu ne signifie pas une fuite de la réalité. Le sommeil de Jésus n’est pas celui de Jonas ou des apôtres à Gethsémani. Au contraire, après avoir repris des forces dans le sommeil, Jésus est assez fort pour menacer le vent et la mer, c’est-à-dire pour lutter lui-même contre le mal. Dans le passage des moineaux évoqué plus haut, après avoir invité ses disciples à ne pas craindre « ceux qui tuent le corps mais ne peuvent rien faire de plus », Jésus leur avait dit : « craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir d’envoyer dans la géhenne. » (Lc 12,4‑6) Saint Marc écrit que « réveillé, Jésus menaça le vent et dit à la mer : ‘Silence, tais-toi’ ! » Le mot « menacer » est le même que l’évangéliste utilisera ensuite lorsque Jésus sera confronté au démon, une fois arrivé sur l’autre rive. Une des premières actions de Dieu, lorsque la terre était informe et vide, et que son souffle planait au-dessus des eaux, fut de « séparer les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus » puis de « rassembler en un seul lieu les eaux qui sont au-dessous du ciel » (Gn 1), comme Dieu l’a rappelé du milieu de la tempête à Job. Jésus se révèle ainsi comme Dieu lui-même.
Comme l’ont écrit les évêques de France il y a quelques jours à propos de notre pays, « le malaise social que nous constatons a certes partie liée à des décisions politiques, mais il est plus profond. Il tient aussi à l’individualisme et à l’égoïsme dans lesquels nos sociétés se laissent entraîner depuis des décennies, à la dissolution des liens sociaux, à la fragilisation des familles, à la pression de la consommation, à l’affaiblissement de notre sens du respect de la vie humaine, à l’effacement de Dieu dans la conscience commune ». Cela implique que nous devons nous convertir pour chasser le mal d’abord en nous-mêmes. C’est alors que nous serons assez forts, assez unis au Christ, pour chasser avec lui les forces du mal qui nous entourent. Regardons les saints. Comme Jésus, ils ont chassé des démons, guéri des malades, et même ressuscité des morts…
Ainsi, le Seigneur nous invite à passer de la peur à la confiance, grâce à la foi. Après que la tempête s’est apaisée, les disciples sont « saisis d’une grande crainte ». La peur qui paralyse s’est transformée en crainte, le premier des dons du Saint Esprit, synonyme d’adoration confiante. Cela signifie-t-il qu’ils sont parfaitement abandonnés entre les mains de Dieu et capables de lutter contre toutes les formes de mal ? Non, nous savons qu’ils se laisseront à nouveau dominer par la peur, notamment lors de l’arrestation de Jésus à Gethsémani. Vivre dans une parfaite confiance est un long apprentissage, celui de toute une vie. Ne nous laissons jamais dominer par la peur. Lorsqu’elle viendra nous saisir, crions vers le Seigneur en lui disant : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Soyons sûrs qu’il viendra à notre secours. Et lorsque nous rencontrerons des personnes paralysées par la peur, invitons-les à monter sur la barque de l’Eglise, qui jamais ne chavirera. Après bien des tempêtes, nous parviendrons tous ensemble sur l’autre rive, celle de la résurrection et du Royaume de Dieu.
P. Arnaud