Sois le berger de mes brebis
Frères et sœurs, alors qu’un nouveau pape va bientôt être élu par les cardinaux, demandons-nous selon quels critères ils vont le choisir. Ils ne doivent pas être influencés par l’esprit du monde (c’est pourquoi ils seront enfermés pendant tout le conclave) mais par l’Esprit de Dieu. Or celui-ci nous révèle clairement ce qui est le plus important aux yeux du Seigneur : la Foi, l’Espérance et l’Amour. Voyons comment les textes d’aujourd’hui mettent en lumière ces trois vertus, essentielles pour le futur Pape mais aussi pour chacun et chacune d’entre nous.
Premièrement, le Seigneur nous appelle à la Foi. Celle-ci signifie la confiance en lui. C’est ce que Pierre et les 6 autres disciples nous montrent avec la pêche miraculeuse. Leur nombre (7) symbolise l’ensemble des disciples[i]. La plupart des apôtres que Jésus avait choisis étaient des pécheurs. Après sa passion et sa mort, ils sont revenus à leur ancienne vie. N’ayant pas encore reçu l’Esprit de Pentecôte, la nouvelle de sa résurrection elle-même n’a pas été suffisante pour les pousser à sortir d’eux-mêmes et à partir en mission. Après avoir vécu pendant trois ans d’une manière exceptionnelle auprès du Christ, ils reprennent donc le « train-train » quotidien. Pire encore, dans ce domaine où ils avaient tout pour réussir, puisqu’ils étaient des pécheurs professionnels, ils éprouvent également l’amertume de l’échec : « Ils passèrent la nuit sans rien prendre ». C’est alors que le Ressuscité intervient, d’une manière cachée : « ils ne savaient pas que c’était lui. » Cependant, alors qu’il les invite à jeter le filet à droite de la barque, ils acceptent de lui faire confiance[ii]. Devant les 153 gros poissons pêchés (le nombre d’espèces connues à l’époque), c’est Jean qui est le premier à reconnaître la présence divine : « C’est le Seigneur » !
A nous aussi, le Seigneur nous appelle à lui faire confiance. Parfois, c’est grâce à quelqu’un d’autre que nous pouvons reconnaître sa présence et ses appels. Parfois aussi, cela signifie résister à des pressions. Alors qu’il l’avait renié par peur au moment de la Passion, Pierre a été capable ensuite de tenir tête aux autorités de son peuple : « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (1° lect.)
Deuxièmement, le Seigneur nous appelle à l’Espérance. C’est elle qui nous permet de nous « jeter à l’eau », comme Pierre. S’il a plongé dans le lac de Galilée, c’était pour rejoindre Jésus qui était sur le rivage. C’est cela l’Espérance : la force qui nous permet de prendre des risques dans le but de rejoindre le Seigneur, qui veut nous accueillir auprès de lui. L’Espérance est nourrie par tous les sacrements, et en particulier par les deux qui sont évoqués dans l’évangile. Le baptême, d’abord, qui signifie « plongée » et qui nous permet de revêtir un nouveau vêtement, comme Pierre qui bizarrement en enfile un au moment de se jeter à l’eau. L’Eucharistie ensuite, où Jésus nous partage le pain[iii]. Le baptême est une source d’Espérance parce qu’il nous offre une graine qui est appelée à grandir en nous : « chrétien, deviens ce que tu es » disait saint Augustin, deviens un véritable fils de Dieu par ta façon de vivre. De même, l’Eucharistie n’est pas seulement une commémoration du sacrifice du Christ et une force de communion pour le présent, elle est aussi une anticipation du banquet éternel dans le Royaume de Dieu.
Aujourd’hui encore, le baptême représente une plongée audacieuse dans l’eau de la renaissance. Certes, la plupart d’entre nous l’ont reçu enfant, sans notre consentement, mais nous exprimons celui-ci à chaque fois que nous recevons l’eau de l’aspersion en temps pascal et lorsque nous professons notre foi, intégralement lors de la célébration de Pâques et plus succinctement chaque dimanche. Et c’est toujours le Seigneur Jésus qui, lors de chaque Eucharistie, nous donne la nourriture dont nous avons besoin. Rendons grâce pour les milliers d’adultes qui ont reçu ces 2 sacrements et la confirmation lors de la Vigile pascale au Saint Esprit et ailleurs dans l’Eglise.
Troisièmement, le Seigneur nous appelle à l’Amour. Amour pour lui, qui se concrétise dans l’Amour pour notre prochain. A la fin de l’épisode que nous venons d’entendre, Jésus prend Pierre à part et lui pose une seule question : « m’aimes-tu ? » L’amour a différents visages et différents degrés. On n’aime pas le chocolat comme on aime la France ou comme on aime son conjoint ou ses enfants. En grec, la langue de l’évangile, il existe 3 termes différents pour exprimer 3 différentes formes d’amour : eros désigne l’amour affectif, philein l’amitié, et agapein la charité, i.e. l’amour oblatif qui se sacrifie pour l’autre[iv]. En s’adressant à Pierre, Jésus utilise d’abord 2 fois le terme agapas, puis 1 fois le terme phileis. Pourquoi ce changement ? Parce que Pierre lui répond à chaque fois avec le terme philo. Alors même que Jésus lui demande s’il l’aime assez pour se sacrifier pour lui, il se contente de lui répondre qu’il l’aime bien, comme un ami. Autrement dit, alors qu’il était trop sûr de lui avant la Passion, au point de dire à Jésus qu’il était prêt à donner sa vie pour lui, il est devenu humble et conscient de ses faiblesses. Jésus s’adapte donc à Pierre, et c’est l’inverse de la Passion qui se produit : alors qu’il avait annoncé à celui-ci son triple reniement à venir, il lui annonce maintenant qu’il va effectivement donner sa vie pour lui : « quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » Et c’est ce qui se réalisera lorsque Pierre sera crucifié à Rome, au moment de la persécution lancée par Néron…
Ainsi, Jésus a conforté Pierre dans sa mission. Après son triple reniement, il aurait pu le désavouer et confier les clefs du royaume à un autre. En lui posant 3 fois la question « m’aimes-tu », non seulement il lui montre que son péché est pardonné, mais aussi qu’il ne pourra accomplir sa mission que s’il est uni à son Maître par l’Amour.
A chacun d’entre nous aussi, le Seigneur a confié des missions, peut-être pas aussi glorieuses et difficiles que celle de Pierre, mais importantes également car nous avons tous un rôle à jouer dans l’édification de l’Eglise et de la société, en tant que « pierres vivantes » (1P2,5). Alors, ne renonçons jamais à l’accomplir, malgré nos faiblesses : elles doivent nous pousser à nous unir davantage, par l’amour et dans l’humilité, à celui qui peut agir en nous et avec nous.
Ainsi, le Seigneur appelle non seulement le successeur de Pierre mais aussi chacun d’entre nous à la Foi, l’Espérance et l’Amour. Si nous acceptons de répondre à ce triple appel, nous deviendrons nous aussi pêcheurs et bergers, capables avec le Christ de sauver de la mort des âmes égarées et de les guider vers le Royaume. Même si cela engendre des épreuves ou des persécutions, nous pourrons être « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus. » (1° lect.) Et finalement, c’est ainsi que nous éprouverons le sentiment d’adoration des anges de l’Apocalypse, qui disaient d’une voix forte : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » (2° lect.) !
P. Arnaud
[i] Tout comme les 7 églises de l’Apocalypse représentent toute l’Eglise.
[ii] Sans doute avaient-ils encore en mémoire un événement qui avait eu lieu trois ans plus tôt, lorsque Jésus avait demandé à celui qui s’appelait encore Simon d’aller au large pour y jeter les filets, et où ceux-ci étaient près de se déchirer tant ils avaient rapporté de poissons (Lc 5,1-11). Simon s’était alors prosterné aux pieds de Jésus et avait ensuite décidé de le suivre.
[iii] Pourquoi donne-t-il ici du poisson en plus ? Pour rappeler la multiplication des pains, bien-sûr, mais aussi pour signifier qu’il se donne lui-même : pour les premiers chrétiens, le symbole le plus fort du Christ – comme on le voit dans les catacombes -était le poisson, ichthus en grec, qui est un acrostiche de Iesous Christos Theou Uios Soter, qui signifie « Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur ». Pourquoi Jésus demande-t-il aux disciples d’apporter le poisson qu’ils viennent de prendre ? Pas parce qu’il en manque, sans doute, mais pour qu’ils puissent participer à son œuvre (comme nous apportons le pain et le vin dans chaque eucharistie).
[iv] Mère Teresa passa un jour du 2nd au 3ème, lorsqu’elle comprit dans la prière que le Seigneur l’appelait à quitter la vie relativement confortable de religieuse enseignante, pour aller servir les miséreux dans les rues de Calcutta.